La plateforme de droit bancaire et financier des étudiants en Master 2 - Droit européen et international économique et de Droit des Affaires Approfondi - de l'Université Paris XIII

27 février 2017

MIFID II & TRANSPARENCE

LES APPORTS DE MIFID II EN MATIERE DE TRANSPARENCE

Jean François Khamad Dioh
(27/02/2017)

Résumé :
Afin de corriger les faiblesses révélées lors de la crise financière de 2008 et de tenir compte de l’évolution des marchés financiers, la directive Marchés d’Instruments Financiers 2 voit le jour. L’objectif était redonner confiance aux investisseurs dans le but que les places financières européennes restent attractives. Il fallait donc corriger les insuffisances de la MIF 1, qui a permis l’éclosion de procédés de transactions financières très peu contrôlées. Cela s’est fait principalement par le biais de la transparence. La directive MIF 2 a ainsi cherché à ce qu’un contrôle soit effectué sur  le maximum de transactions financières et les rendre les moins opaques possible. C’est en ce sens que de nouvelles règles ont imposé ce contrôle en amont et en aval de la négociation. La directive vient aussi rassurer les investisseurs en imposant aux entreprises d’investissement des règles qui assure l’investisseur de la prise en compte de ses intérêts en priorité.

Abstract:
In order to correct the weaknesses revealed during the 2008 financial crisis and to take account of developments in the financial markets, the Markets in Financial Instruments II Directive was created. The objective was to restore confidence in investors in order to keep European financial centers attractive. It was therefore necessary to correct the shortcomings of the MiFID 1, which allowed the emergence of financial control processes with little control. This was done mainly through transparency. MiFID 2 has therefore sought to ensure that the maximum amount of financial transactions is monitored and less opaque as possible. It is in this sense that new rules have imposed this control pre-trade and post-trade. The directive also reassures investors by imposing rules for investment firms that ensures the investor of the taking into account of his interests as a priority.



INTRODUCTION :

Dans un contexte de concurrence entre les places boursières, l’Europe a dû faire évoluer sa réglementation dans ce domaine afin de rester attractive surtout face aux Etats-Unis où l’on a assisté à la multiplication des marchés permettant d’effectuer des opérations financières. C’est dans cette optique que la directive Marchés d’Instruments Financiers 1 (MIF 1) du 21 avril 2004 vient poser des règles favorisant la concurrence entre marchés financiers au sein de l’Europe afin que ces marchés soient plus dynamiques et ainsi rester attractifs. Toutefois cette recherche d’attractivité s’est faite au détriment d’autres objectifs, tout aussi importants que devaient rechercher les marchés financiers, comme la transparence et la confiance des investisseurs. Cette transparence se manifeste d’abord par la publication en temps réel par les plateformes de négociation des prix et volumes des intérêts acheteurs et vendeurs. C’est la transparence pré-négociation. Ensuite la publication en temps réel par les plateformes de négociation et par les entreprises d’investissement des volumes et prix de leurs transactions. Il s’agit ici d’une transparence post-négociation[1]. L’insuffisance des mesures de transparence prévues par la directive MIF 1 à conduit à ce que de nombreuses opérations puissent être effectuées dans l’opacité la plus totale. Il a donc fallu remédier à cette situation, c’est en ce sens qu’un des principaux apports de la directive MIF 2  est le renforcement de la transparence dans les opérations financières. A côté du renforcement de la transparence la directive vient poser de nouvelles règles afin de préciser les responsabilités des producteurs et des distributeurs de produits financiers. Elle va aussi augmenter l’encadrement des avantages et rémunérations des acteurs de marchés financiers, impose une information sur la nature indépendante ou non du conseil fournie par les entreprises d’investissement et alourdie la réglementation des marchés de dérivés sur matières premières[2]. Son entrée en vigueur est prévue pour le 3 janvier 2018[3]Elle y arrive en modifiant la structure des marchés  financiers (I) et en étendant le périmètre des instruments financiers qui sont soumis à l’exigence de transparence [4] (II).

I- La nouvelle architecture imposée par les failles de la directive MIF 1

Pour voir  de quelle manière la transparence a été renforcé dans le fonctionnement du marché il convient de s’intéresser aux failles de la directive MIF 1 (A), avant de voir comment cette nouvelle directive remodèle l’architecture des marchés financiers (B).

      A- Les failles de la directive MIF 1

Le grand objectif de la directive MIF 1 est de stimuler la croissance en provoquant la concurrence. Pour arriver à cet objectif les différents modes de conclusion des transactions financières ont été mis en concurrence et une classification tripartie a été mise en place[5]. Cette classification est la suivante : à côté des marchés réglementés vont apparaître deux autres catégories, les systèmes multilatéraux de négociation et les internalisateurs systématiques. Les systèmes multilatéraux ont une définition assez proche de celles des marchés réglementés car organisent eux aussi la rencontre des intérêts acheteurs et vendeurs. En revanche dans l’internalisation des ordres c’est le professionnel qui se porte contrepartie de l’ordre de son client[6]. Ce qui tend à l’éloigner de l’idée de marché[7].En favorisant la concurrence entre les plateformes de négociations, les opérateurs ont trouvé le moyen de développer des structures parallèles opaques réservés aux professionnels. En 2009, il y avait 133 systèmes multilatéraux contre 90 marchés réglementés[8]. Cette montée en puissance s’est accompagnée d’une fragilisation des règles de transparence. Un grand nombre de systèmes multilatéraux se sont développés en se plaçant parmi les exceptions prévues. Cette situation a donné la possibilité de faire des transactions dont on ne pouvait pas connaitre les conditions. On assiste alors ainsi à la création des « dark Pools » qui opèrent sans aucune transparence pré-négociation[9]. Même si toutes les transactions doivent être notifiées avec l’obligation de transparence post négociation. En pratique, comme il n’y avait pas de support unique de ces informations, les « dark pools » parvenaient à ne pas fournir d’info sur les opérations exécutées.

A coté des « dark pools », d’autres systèmes de négociation voient le jour comme les « crossing networks ». Ils marient les ordres de client en sens inverse de manière bilatéral[10].  Ces systèmes ont progressivement donné naissance à de véritables plateformes mises en place par des établissements bancaires. Ces bassins d’opacité échappent aux règles de la MIF 1, notamment en matière de transparence pré négociation.

      B - Une classification remodelée par la directive MIF II :

Une nouvelle catégorie de plate forme organisée a été crée, il s'agit des systèmes organisés ou « Organized trading facilities »(OTF), cette nouvelle catégorie va englober les « dark pools » et « crossing networks ». Ce qui va permettre de faire entrer dans un système de surveillance plus étroit les structures qui se sont développée en marge. La directive MIF 2 conserve la classification tripartite et la remodèle. L’idée est de maintenir la concurrence entre les plateformes de négociation, c’est un objectif partagé avec la directive MIF 1. La directive MIF 2 a aussi pris en compte l’évolution technologique en encadrant au mieux le trading haute fréquence[11]. Ce mode de négociation basé sur les algorithmes permet d’exploiter les écarts de cotation dans un laps de temps réduit généralement des microsecondes, d’où le nom de trading haute fréquence. La base de cette technique de trading est d’identifier automatiquement par le biais d’ordinateur et de programme des opportunités d’investissements.

Certains voient un bénéfice pour animer la liquidité des marchés, mais d’autre considèrent que ces marchés faussent l’analyse des ordres pour les autres acteurs, ce qui rend le marché plus difficile à analyser. Le risque de cette technique est principalement le «flash crack»,  qui est un effondrement des cours de la bourse qui dure quelques secondes ou quelques minutes. Cela s’est produit à plusieurs reprises[12]. En effet le marché est déstabilisé à cause de vente massive, ce qui entraîne une chute brutale des cours. En matière de trading haute fréquence, la directive MIF 2 pose une réglementation qui vise à s’assurer de l’intégrité du marché[13] afin d’empêcher que cette technologie soit utilisée à des fins de manipulation du marché, et empêcher le fonctionnement désordonné du marché qui peuvent en résulter[14].

II - Un accroissement de l’exigence de transparence

Les règles de transparence existaient déjà dans la directive MIF 1 mais elles étaient difficiles à appliquer, et ont permis de développer les transactions opaques. La directive MIF 2 vient donc de mettre en place des règles qui pourront s’appliquer quelque soit l’opération. Cette exigence de transparence a un champ d’application plus étendu avec la directive MIF 2 (A) et son renforcement s’accompagne de mesures destinées à regagner la confiance des investisseurs dans les marches financiers (B).

      A - L’extension du champ d’application de l’obligation de transparence

La directive MIF 2 vient étendre l’exigence de transparence à des milliers d’instruments financiers alors qu’avec MIF 1[15]  environ 6000 instruments financiers étaient déjà concernés. Cette extension considérable a pour but de réduire le nombre de transactions qui se font dans des conditions opaques.

En plus d’accroître le nombre d’instruments financiers devant être soumis aux règles de transparence pré et post négociation, la directive vient aussi réduire les possibilités d’effectuer des opérations qui ne respectent pas ces obligations en réduisant les exceptions à l’obligation de transparence pré et post négociation qui existaient[16]. Un des objectifs de la directive est de réduire les transactions de gré à gré c'est-à-dire hors marché réglementé. C’est en ce sens qu’elle prévoit  pour les actions cotées une obligation d’échanger ses actions sur un marché réglementé, un système multilatéral ou via un internalisateur systématique ou des plateformes d’un pays tiers jugé équivalent[17]. Des exceptions sont prévues lorsqu’il s’agit de transactions ponctuelles de négociations entre professionnels ou d’opération qui n’auront pas d’influence sur la fixation du prix[18]. De ce fait ces opérations marginales ont été laissées dans un système opaque.

Cette extension du champ de la transparence est nécessaire afin de redonner confiance aux investisseurs. En effet, la transparence apporte aux investisseurs plus de visibilité, ce qui est un élément fondamental pour la protection des investisseurs et l’ouverture du marché aux plus petits acteurs.

      B-      La recherche de la confiance des investisseurs à travers la transparence

Suite à la crise de 2008 il fallait redonner confiance aux investisseurs afin que les marchés financiers européens soient attractifs. Cet objectif s’est fait par un renforcement de la transparence pré et post négociation. Pour les obligations pré négociations, les marchés doivent assurer en continu une diffusion des prix acheteurs et vendeurs et des volumes. Pour les obligations post négociations tous les opérateurs et plateformes doivent diffuser en temps réel les prix les produits et les heures de transactions[19].
De plus, il fallait trouver des mécanismes qui montrent à l’investisseur que ces intérêts sont protégés. Ainsi la directive met en place des obligations à la charge des entreprises d’investissement afin qu’elles prennent toutes les mesures suffisantes pour obtenir, lors de l’exécution des ordres, le meilleur résultat possible pour leurs clients[20]. C’est dans cette même logique qu’il est aussi interdit aux entreprises d’investissement, pour des raisons de conflit d’intérêt, de recevoir une rémunération pour l’acheminement d’ordres vers une plate-forme de négociation[21].


___________________________________



[1] AMF, Dossier thématique : Marchés d’instruments financiers, 15 septembre 2014, http://www.amf-france.org/Reglementation/Dossiers-thematiques/Marches/Directive-MIF/La-nouvelle-directive-et-le-reglement-Marche-d-instruments-financiers--MiFID-et-MiFIR--ont-ete-publies.html
[2] AMF, De MIF 1 à MIF 2, les principaux apports de MIF 2, 24 octobre 2016, http://www.amf-france.org/Acteurs-et-produits/Marches-financiers-et-infrastructures/De-MIF-1-a-MIF-2/Les-principaux-apports-de-MIF-2.html
[3] Esma, Timefram, https://www.esma.europa.eu/policy-rules/mifid-ii-and-mifir
[4] AMF, De MIF 1 à MIF 2, les principaux apports de MIF 2, 24 octobre 2016, http://www.amf-france.org/Acteurs-et-produits/Marches-financiers-et-infrastructures/De-MIF-1-a-MIF-2/Les-principaux-apports-de-MIF-2.html
[5] J-J. Daigre, De la la directive de de 1993 à celle de de 2004 : d’un modèle de marché à un autre, Banque et droit n°102, juill/août 2005 p.7
[6] AMF, Marchés financiers & infrastructures Autres lieux de négociation: Internalisateur systématique, 30 Avril 2013,
http://www.amf-france.org/Acteurs-et-produits/Marches-financiers-et-infrastructures/Autres-lieux-de-negociation/Internalisateur-systematique.html
[7] Anne Muller, droit des marchés financiers et droit des contrats, économica, 2007 p.15
[8] Rapport Fleuriot 20 décembre 2011
[9] AMF, Fiche presse : Les enjeux liés à l’émergence des Dark pools et des crossing networks, 20 octobre 2009, P.2
[10] AMF, Fiche presse, Ibid.
[11] AMF, De MIF 1 à MIF 2: Les principaux apports de MIF 2, 24 octobre 2016,
http://www.amf-france.org/Acteurs-et-produits/Marches-financiers-et-infrastructures/De-MIF-1-a-MIF-2/Les-principaux-apports-de-MIF-2.html
[12] Andrei Kirilenko, Albert S. Kyle, Mehrdad Samadi, Tugkan Tuzun « The Flash Crash: The Impact of High Frequency Trading on an Electronic Market » 5 mai 2014
[13] AMF, De MIF 1 à MIF 2: Les principaux apports de MIF 2, 24 octobre 2016,
http://www.amf-france.org/Acteurs-et-produits/Marches-financiers-et-infrastructures/De-MIF-1-a-MIF-2/Les-principaux-apports-de-MIF-2.html
[14] AMF, De MIF 1 à MIF 2, Trading haute fréquence, Ibid.
[15]AMF, De MIF 1 à MIF 2, structure de marché/ Transparence, Ibid.
[16]AMF, De MIF 1 à MIF 2, structure de marché/ Transparence,  Ibid.
[17] AMF, De MIF 1 à MIF 2, structure de marché/ Transparence,  Ibid.
[18] AMF France.org, Dossier thématique : Marchés d’instruments financiers, 15 septembre 2014,
http://www.amf-france.org/Reglementation/Dossiers-thematiques/Marches/Directive-MIF/La-nouvelle-directive-et-le-reglement-Marche-d-instruments-financiers--MiFID-et-MiFIR--ont-ete-publies.html
[19] AMF, De MIF 1 à MIF 2, structure de marché/ Transparence,  Ibid.
[20] Article 27 -1  alinéa 2, directive MIF 2
[21] Article 27- 2, directive MIF 2

25 février 2017

RATIOS DE SOLVABILITE BANCAIRES


LES RATIOS DE SOLVABILITE : UNE DES PRINCIPALES MESURES PREVENTIVES IMPOSEES AUX BANQUES EUROPEENES PAR L’UNION EUROPENNE POUR FAIRE FACE AUX CRISES FINANCIERES


JERAB Farah
lundi 20 février 2017


Résumé :
Les banques se doivent d’être d’une grande solidité financière compte tenu des effets d’une faillite éventuelle sur la stabilité de tout le système financier. Cette solidité financière est essentiellement mesurée par le montant des fonds propres de la banque, qui détermine sa capacité à faire face aux risques éventuels liés à ses activités. Le fonctionnement du secteur bancaire appelle donc une intervention publique forte afin d’en assurer la régulation. L’Union Européenne a donc mis en place des exigences minimales de fonds propres que doivent respecter toutes les banques quand elles octroient un crédit, appelés ratios de solvabilité. Depuis le comité de Bâle II, ce seuil est à 8%. Les exigences de Bâle III (retranscrite en droit européen par une directive et un règlement) maintiennent le ratio mais redéfinissent les fonds propres et l’assortissent de nouvelles obligations (matelas de précaution, ratios de liquidité…). De ce fait, bien que le seuil de 8 % de fonds propres demeure la norme minimale, la solvabilité est mieux assurée.


Summary :
Banks needs to get a financial strength because a bankruptcy would affect the whole system. This financial strength is essentially measured by the amount of the bank's own funds. This fund determines its ability to cope with potential risks associated with its activities. Thus, the functioning of the banking sector calls for a strong public intervention in order to ensure regulation. Therefore, European Union have been set up minimum capital requirements, which must respect all banks when granting credit, known as equity ratio. Since the Basel committee II committee, this threshold is 8%. Basel committee III requirements (transposed into European law by a directive and a European regulation) keep the ratio more redefined and add new bonds (precautionary mattresses, liquidity ratios ...). Thus, although the 8% threshold of capital remains the minimum standard, solvency is better assured.


Introduction :
Les banques se doivent d’être d’une grande solidité financière compte tenu des effets d’une faillite éventuelle sur la stabilité de tout le système financier. Cette solidité financière est essentiellement mesurée par le montant des fonds propres de la banque, qui détermine sa capacité à faire face aux risques éventuels liés à ses activités[1]. Le fonctionnement du secteur bancaire appelle donc une intervention publique forte afin d’en assurer la régulation.                                                                     

A donc été mis en place, en partie par l’intervention des successifs comités de Bâle[2], des ratios de solvabilité[3] qui sont des exigences minimales de fonds propres que doivent respecter tous les établissements financiers quand ils octroient un crédit. Ces comités, qui ne créés pas d’obligations à la charge des Etats, avaient pour objectif de poser les bases d'un ratio de solvabilité bancaire harmonisé, et ont dès lors inspiré le législateur européen.

Quelle réglementation prudentielle relative aux fonds propres d’une banque a été mise en place par l’Union Européenne pour faire face aux crises financières ?
Nous concentrerons nos propos sur l’importance des ratios, dit de solvabilité, mis en place par l’Union Européenne à titre de mesure préventive, et qu’elle impose aux banques européennes (I), avec son pendant essentiel sous peine de non-respect : la supervision (II).

I)                   La réglementation prudentielle européenne relative aux fonds propres d’un établissement financier
Comme nous l’avons évoqué en introduction, les travaux du Comité de Bâle relatif aux ratios de solvabilité ont trouvé leur aboutissement en droit européen (A), et ont ensuite été transposés en droit français (B).

A)    Transcription des ratios de solvabilité de Bâle III par le « paquet CRDIV/CRR[4] »

En vue d’une présentation générale des dispositions prudentielles du « paquet CRDIV/CRR », il est à noter que d’une part, le titre 7 de la directive 2013/36/UE du 26 juin 2013 est spécialement consacré à la « surveillance prudentielle » et comporte 93 articles, et que d’autre part, le règlement UE n° 575/2013 du 26 juin 2013 est uniquement consacré aux règles prudentielles ; il est composé de 521 articles (réparti dans 11 parties).          
Ce « paquet CRDIV/CRR » s’applique aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement autres que les sociétés de gestion de portefeuille.                                                                                                                                        
En ce qui concerne précisément les ratios de solvabilité, il faut savoir au préalable que la réglementation européenne impose aux établissements de crédit un certain volume de fonds propres[5] entrant dans la composition des ratios exigés afin de couvrir les risques encourus. Le règlement européen du 26 juin 2013 en a distingué deux catégories[6]. Le Tiers 1 comprend deux types de fonds[7]. Le premier type correspond à la forme la plus solide de fonds propres, c’est-à-dire le capital sous forme d’actions ordinaires, les réserves et le résultat conservé[8]. Les fonds propres additionnels (Tiers 2), quant à eux, comprennent des instruments de capital autres que ceux éligibles au titre de fonds propres de base[9].                              

Après cette définition précise de fonds propres, le règlement UE n° 575/2013 du 26 juin 2013 a mis en place un ratio de solvabilité et qui s’applique donc à tous les établissements de crédit et entreprises d’investissement autres que les sociétés de gestion de portefeuille. En effet, ils se doivent d’être en permanence solvable, c’est-à-dire de pouvoir faire face à leurs engagements à tout moment à l’aide d’un certain montant de fonds propres disponibles.                                                                                

Ce ratio est en fait un rapport minimal entre les fonds propres de l’établissement de crédit, et le niveau des risques qu’il encoure ; il est fixé à 8%[10]. Il correspond aux fonds propres exprimés en pourcentage du montant total d’exposition aux risques[11], c’est-à-dire, les risques de crédits, de marchés et opérationnels[12]

Notons encore que les accords de Bâle III avaient prévu plusieurs évolutions à propos du ratio de solvabilité, notamment le fait que l’exigence minimale globale de solvabilité, incluant l’ensemble des fonds propres admis, devrait passer progressivement de 8% à 10,5%. Cependant le règlement du 26 juin 2013 est revenu sur cette idée[13].

Enfin, la directive du 26 juin 2013 est à l’origine de la création de coussins « contracycliques » de fonds propres[14], qui ont pour finalité d’absorber les pertes en cas de difficulté particulière. En outre, cette directive prévoit la possibilité pour les Etats membres d’imposer des coussins contre le risque systémique[15]. En effet, selon les cas, les Etats membres sont en droit de décider seuls de recourir à de tels coussins supplémentaires ou devront obtenir l’autorisation préalable de la Commission européenne.    
Ces règles prudentielles se sont en effet profondément enrichies au fil des ans.

Si le règlement est d’application directe, il en va différemment de la directive. Pour autant, la « CRDIV » contient un certain nombre d’options et de discrétions nationales destinées à permettre l’adaptation des règles européennes aux spécificités de chaque marché national pour les mesures de portée générale, ou aux spécificités de chaque établissement ou groupe pour les mesures de portée individuelle[16].
 
       B)    Transposition de la directive « CRDIV », relative aux fonds propres, en droit français 

Il était nécessaire de procéder à la transposition des dispositions de la directive « CRDIV » dans le droit de chacun des Etats membres[17]. En France, l’ordonnance n° 2014-158 du 20 février 2014, le décret n° 2014-1315 du 3 novembre 2014 et le décret n° 2014-1316 du 3 novembre 2014 sont venus achever ce travail de transposition.     

Présent à la section VII (du livre cinquième) intitulée « dispositions prudentielles »[18], l’article L511-41du Code monétaire et financier dispose désormais que « I – Les établissements de crédit et les sociétés de financement sont tenus de respecter des normes de gestion destinées à garantir leur liquidité et leur solvabilité à l’égard des déposants et, plus généralement, des tiers, ainsi que l’équilibre de leur structure financière. Ils doivent en particulier respecter des ratios de couverture et de division de risques. »                 
                                       
Depuis l’ordonnance n° 2015-558 du 21 mai 2015, le cas de la succursale d’un établissement de crédit ayant son siège social dans un Etat qui n’est ni membre de l’Union Européenne ni partie à l’accord sur l’Espace économique européen est également expressément envisagé[19]. De plus, depuis l’ordonnance n° 2014-158 du 20 février 2014, l’article L. 511-41-1 A prévoit que les établissements de crédit et les sociétés de financement peuvent être soumis à des obligations de fonds propres supplémentaires (« coussins »), dans des conditions définies par arrêté.

C’est ensuite le Comité de la réglementation bancaire et financière qui adapte à la législation française les directives du Parlement européen. Cette adaptation conduit à la parution au Journal Officiel d’un arrêté après homologation par le ministère de l’Economie et des finances des modifications stipulées par le Comité de la réglementation bancaire et financière.

L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (« ACPR »), quant à elle, fixe par « Notice » les modalités précises du calcul des ratios prudentiels.                                                                                                                                                    
Il est à noter que dans le cadre du Mécanisme de Supervision Unique et en application notamment du règlement UE n° 1024/2013 du 15 octobre 2013 confiant à la Banque centrale européenne  (la «BCE») des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des  établissements de crédit, la BCE est devenue, conformément à l’article 6§ 4 du règlement n° 1024/2013,  l’autorité compétente pour les établissements de crédit considérés comme importants (dits « significatifs ») depuis le 4 novembre 2014. La BCE est par conséquent directement responsable de la mise œuvre des options et discrétions nationales relevant de l’autorité compétente pour ces établissements. Pour les autres établissements, l’autorité compétente reste l’ACPR[20].

La « Notice » se limite, sur le dispositif de surveillance des fonds propres et de la liquidité, à des précisions relatives au pilier 1 (calcul des ratios de solvabilité, de grands risques, de levier et de liquidité). Il est rappelé que les conditions de mise en œuvre du pilier 2 (le « processus de surveillance prudentielle ») sont fixées par l’arrêté du 3 novembre 2014 relatif au processus de surveillance prudentielle et d'évaluation des risques des prestataires de services bancaires et des entreprises d'investissement autres que les sociétés de gestion de portefeuille[21].

Notre droit prévoit désormais en effet une réglementation relativement stricte afin d’écarter tout risque de faillite bancaire, mais la supervision prudentielle constitue la principale garantie contre les risques systémiques.

II)                 La supervision prudentielle des exigences de fonds propres

Dans le cadre des ratios de solvabilité imposés aux établissements financiers, il est important de déterminer quel contrôle existe pour vérifier l’applicabilité de ces exigences prudentielles (A), et quelles sont ensuite les sanctions en cas de non-respect (B).

       A)    Le contrôle interne des établissements de crédit[22]

L’article L. 511-41-1 B du Code monétaire et financier prévoit des exigences en matière de contrôle interne[23] que les établissements de crédit doivent mettre en place dans le but de détecter, de mesurer et de gérer les risques auxquels ils sont ou pourraient être exposés du fait de leurs activités. 
 Ils peuvent en outre, si l’ACPR les y autorise, recourir à une approche interne pour déterminer les exigences de fonds propres appropriées à leur situation[24].

L’article L. 511-41-1 C prévoit quant à lui que c’est ensuite l’ACPR qui évalue et contrôle les dispositifs, stratégies et procédures mise en œuvre par les établissements de crédit.

      B)    Les pouvoirs d’injonctions et de sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

L’ordonnance n° 2014-158 du 20 février 2014 a renforcé les compétences de l’ACPR, comme en témoigne l’article L. 511-41-3 du Code monétaire et financier. Ainsi, en vertu de ce texte, l’ACPR peut enjoindre aux établissements de crédit de prendre, dans un délai déterminé, toutes mesures destinées à restaurer ou à renforcer sa situation financière ou de liquidité, à améliorer ses méthodes de gestion ou à assurer l’adéquation de son organisation à ses activités ou à ses objectifs de développement[25].

De plus, selon le même article, l’ACPR peut exiger que l’entreprise détienne des fonds propres d’un montant supérieur au montant minimal prévu par la réglementation applicable ainsi que l’application aux actifs d’une politique spécifique de provisionnement ou un traitement spécifique au regard des exigences de fonds propres.

Notons que le non-respect d’une telle mesure d’injonction constitue un manquement grave susceptible d’être sanctionné par l’ACPR (dans sa décision no 2013-06 du 26 janvier 2015, la Commission des sanctions a prononcé à l'encontre de la société Bank of Africa (BOA) France un avertissement ainsi qu'une sanction pécuniaire de 100 000 € du fait, parmi d’autres, du non-respect d'une injonction[26]).

En outre, lorsque la solidité de la situation financière d’un établissement de crédit est compromise ou susceptible de l’être, l’ACPR peut exiger de celui-ci qu’il affecte tout ou partie de ses bénéfices nets au remboursement de ses fonds propres, limite la rémunération variable sous forme de pourcentage du total des revenus nets, ou encore publie des informations supplémentaires[27].

Enfin, l’article L. 511-41-5[28] est relatif aux mesures d’« intervention précoce » pouvant être prises sur injonction de l’ACPR. Il est ainsi prévu que de telles mesures peuvent être adoptées, notamment lorsque, du fait d’une « dégradation rapide de sa situation financière ou de liquidité », un établissement de crédit a enfreint ou est susceptible dans un proche avenir d’enfreindre les exigences résultant d’un certain nombre de dispositions, dont le règlement n° 575/2013 du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement.
Plusieurs mesures d’intervention précoce sont alors envisagées, dont l’application de mesures du plan préventif de rétablissement de l’établissement, la cessation des fonctions des dirigeants, la modification de la stratégie commerciale de l’établissement, ou encore la modification de sa structure juridique ou opérationnelle.


[1] M. Rouach et G. Naulleau, Contrôle de gestion bancaire, édition RB, 7e édition,
[2] Le comité de Bâle sur le contrôle bancaire (Basel Commitee) a été créé en 1974 par les gouverneurs des banques centrales du Groupe des 10 – G 10 – quelques semaines après la faillite de plusieurs institutions financières qui laissa planer un risque d’ordre systémique sur l’ensemble du secteur bancaire. Il ne possède pas de personnalité propre, mais s’est doté d’une charte en 2013 qui fixe son organisation et ses missions. Ses travaux sur la réglementation et la surveillance bancaire ne créent pas d’obligation pour les Etats.
[3] Bâle I (1988) met en place le ratio dit Cooke, Bâle II (2004) met en place le ratio dit McDonough et Bâle III (2010).
[4] Directive 2013/36/UE  concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement (CRD IV).                                                                                         - Règlement (UE) n° 575/2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement (CRR).
[5] Les fonds propres d’une entreprise comprennent les capitaux propres et les autres fonds propres. Ils correspondent aux sommes versées par les associés ou actionnaires, augmentées par les profits générés annuellement par l’entreprise qui ne sont pas distribués en dividendes.     
[6] Catégorie 1 (Tiers 1 – Règl. n° 575/2013 du 26 juin 2013, art. 25 s.), Catégorie 2 (Tiers 2 – Règl. n°575/2013 du 26 juin 2013, art. 62 s.)
[7] Le Tiers 1 comprend les fonds propres de base de catégorie 1 (Règl. n° 575/2013 du 26 juin 2013, art. 26 s.) et les fonds propres additionnels (Règl. n° 575/2013 du 26 juin 2013, art. 51 s.)
[8] Règl. n° 575/2013 du 26 juin 2013, art. 26 et 28
[9] Règl. n° 575/2013 du 26 juin 2013, art. 51
[10] Règl. n° 575/2013 du 26 juin 2013, art. 92
[11] Commentaire sous article L511-41 du Code monétaire et financier
[12] (Total des fonds propres / (Risque de crédit + risques de marché + risque opérationnel) = Ratio de fonds propres (≥ 8%))
[13] Commentaire sous article L511-41 du Code monétaire et financier
[14] Ils peuvent prendre la forme de deux instruments : un coussin de conservation des fonds propres fixé à 2,5% des exigences de fonds propres (Dir. 2013/36/UE, art. 129) et un « volant contracyclique » spécifique à l’établissement.
[15] Dir. 2013/36/UE, art. 133
[16] « Notice » Modalités de calcul des ratios prudentiels dans le cadre de la CRDIV – ACPR, février 2017
[17] En France, quelques-unes d’entre elles avaient déjà été partiellement transposées par la loi n° 2013/672 du 26 juillet 2013 de façon anticipée.
[18] Livre cinquième (« Les prestataires de services »), Titre I « Prestataires de services bancaires », Chapitre I (« Dispositions générales », Section VII (« Dispositions prudentielles »)
[19] Article L. 511-41-1 du Code monétaire et financier
[20] « Notice » Modalités de calcul des ratios prudentiels dans le cadre de la CRDIV – ACPR, février 2017
[21] Ibid
[22] Arrêté du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne des entreprises du secteur de la banque, des services de paiement et des services d'investissement soumises au contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution
[23]  Le contrôle interne est le processus mis en œuvre par le conseil d’administration, les dirigeants et le personnel d’une organisation, destiné à fournir l’assurance raisonnable quant aux objectifs suivants : la réalisation et l’optimisation des opérations, la fiabilité des opérations financières, la conformité aux lois et aux réglementations en vigueur " (Définition du C.O.S.O. : committee of sponsoring organizations of the treadway commission)
[24] T. BONNEAU, Régulation bancaire et financière européenne et internationale, Edition Bruylant, 3e édition
[25] Cf. sur cette question, Bonneau Th., Droit bancaire, Montchrestien, 11e éd., 2015, no 334
[26] BOA France n'a en effet pas respecté la décision par laquelle l'ACPR lui avait enjoint, aux termes du II de l'article L. 511-41-3 du code monétaire et financier, de détenir, au plus tard à compter du 30 septembre 2011, des fonds propres d'un montant supérieur au montant minimal prévu par la réglementation applicable en exigeant, d'une part, que son ratio de solvabilité minimum de fonds propres de base soit de 12 % et, d'autre part, qu'elle dispose en permanence de fonds propres de base d'un montant minimum de 4 millions d'euros. En effet, malgré que le capital social de BOA France ait, par plusieurs augmentations successives, été porté à 14 millions d'euros, les pertes réalisées par l'établissement en ont cependant réduit les fonds propres, de sorte qu'à plusieurs échéances, BOA France ne disposait pas de fonds propres égaux ou supérieurs au minimum fixé par le Collège
[27] Article L. 511-41-3 du Code monétaire et financier
[28] Ordonnance n° 2015-1024 du 20 août 2015