La plateforme de droit bancaire et financier des étudiants en Master 2 - Droit européen et international économique et de Droit des Affaires Approfondi - de l'Université Paris XIII

27 mars 2017

LA SANCTION DU TAEG ABSENT



LA SANCTION DU TAEG ABSENT

Lilia Allaoua

27/01/2017

Résumé :
Le taux effectif global (TEG), devenu récemment le taux annuel effectif global (TAEG) est le taux d'intérêt fixé par la banque ou l'établissement de crédit. Il permet d'évaluer le coût total du crédit. Le principe est la liberté de fixation des taux d’intérêt dans la limite du taux d’usure. Il impose de nombreuses règles de fonds et de formes, notamment la mention écrite de ce taux en vertu de l’article 1905 du code civil.  La loi du 28 décembre 1966 imposant la fixation par écrit du taux d’intérêt a été intégrée au code de la consommation à l’article L314-5. L’exigence écrite du TEG est d’ordre public et constitue une mention ad validitatem dont la sanction entraîne la nullité de la fixation du taux. Cette nullité se traduit par une déchéance du droit aux intérêts fixé et la substitution de ce taux par le taux légal. Par ailleurs, en application de l'article L. 313-2 du code de la consommation, la méconnaissance à l’obligation de mentionner par écrit le TEG est pénalement sanctionnée.

Sumary :
The global effective rate, which has recently become the annual global effective rate, is the effective rate set up by banks. It allows to evaluate the global cost of a loan. The main principle is the liberty in determining the interest rates, with the limitation of the attrition rate. It implies numerous procedural and substantial rules, such as the written statement of this rate by application of the article 1905 of the Civil Code. The 28th december of 1966 law requiring the written setting of the rate of interest has been included in the Consumer code at the article
L314-5. This rule is a public policy rule which determine the validity of the rate of interest with the sanction being the invalidity of the rate. This invalidity leads to the loss of this interest rate benefit which is replaced by the legal default rate. Moreover, by virtue of the article L341-49 of the Consumer code, a breach in the obligation of writing the rate is criminally punishable.




A l’origine, le prêt était un « service d’ami ». Il était à cet effet gratuit dans sa conception de 1804[1]. Toutefois, déjà à cette époque l’article 1905[2] contrebalançait ce « service d’ami ».  Il permettait dès lors de stipuler des intérêts à ce prêt. Cette disposition étant entendue largement, s’applique également aux prêts commerciaux. Cependant, il ne reste que très peu de service d’ami aujourd’hui. En effet, selon l’Observatoire des Crédits aux Ménages dans leur dernière enquête réalisée en novembre 2016[3], 18,1% des ménages empruntent auprès d’une banque ou d’un organisme de crédit. Les banques ne finançant pas sans intérêt, le taux effectif global (TEG) est devenu le taux annuel effectif global (TAEG)[4].
Le TAEG existait déjà pour les crédits à la consommation, cette formule, mais surtout son régime a été étendu aux crédits immobiliers depuis le 1er octobre 2016. Ce taux est en l’occurrence, le taux d'intérêt fixé par la banque ou l'établissement de crédit. Il permet d'évaluer le coût total du crédit. Afin de permettre aisément la comparaison d'une offre de prêt d'un pays à l'autre, les quinze États de l'Union européenne avaient décidé, en 1998, de promouvoir un mode de calcul unique pour les TEG des prêts et des crédits à la consommation.      
Dès lors, chaque pays de l'Union avait le choix entre deux formules mathématiques : d'une part, la méthode équivalente et, d'autre part, la méthode proportionnelle utilisée en France[5]. La composition est la même, il est composé de toutes les charges constituant un accessoire de crédit, telles que les commissions, les taxes et assurances, ainsi que les frais de dossiers.
Le principe est la liberté de fixation des taux d’intérêt dans la limite du taux d’usure[6].  Le taux d’usure a été instauré en France par une loi du 28 décembre 1966, dont le but principal était d’arrêter un plafond aux taux des crédits accordés aux particuliers.  
Ainsi ce taux d'intérêt fixé par la banque, ne peut être supérieur au « taux de l'usure », c'est-à-dire au taux maximal légal applicable fixé par la Banque de  France[7].
Le TAEG étant un indicateur important dans le monde bancaire, il est soumis à une condition fondamentale pour sa validité : celle d’une mention écrite. Ainsi dans quelle mesure le non respect de la mention écrite du TAEG entraîne-t-il la nullité de ce taux ?
L’exigence de l’obligation écrite du TAEG (I) est une condition ad validitatem de celui-ci, entraînant la nullité en cas de non respect, ce qui n’est pas exempte de contestations (II).


I-                             L’exigence d’une obligation écrite du TAEG

Tous les contrats ne sont pas concernés par le TAEG (A), pour ceux dont le TAEG est indispensable, ils sont soumis à cette obligation de mention écrite, ceci en respectant des conditions de formes (B).

A)       Les contrats concernés par le TAEG
Deux questions se sont essentiellement posées sur le champs d’application de ce taux, à savoir s’il devait être étendu aux contrats conclus verbalement, et s’il concernait les contrats conclus entre professionnels.
Il est prévu par le législateur, que le taux effectif global déterminé selon les modalités prévues aux articles L314-1 à L314-4 est mentionné dans tout écrit constatant un contrat de  tout le moins lieu, ntestationsnt un pre pr prêt[8]. Le « prêt » étant, le contrat par lequel le prêteur remet à l’emprunteur une somme d’argent ici, à charge de restitution au terme qu’elles conviennent. 
Cette règle
pourrait être interprétée comme limitant l’exigence de la mention du taux à l’hypothèse où le prêt est constaté dans un écrit. Quand est-il du prêt conclu verbalement ? La jurisprudence a considéré que la fixation du taux par écrit est une règle d’application générale, indépendante de la forme qu’emprunte la convention de crédit. Un crédit verbal y est ainsi soumis[9].
Le fait que la disposition de la loi du 28 décembre 1966, imposant la fixation par écrit du taux d’intérêt a été inséré au code de la consommation créait un doute quant à l’application de la règle aux crédits consentis à des professionnels. A nouveau, la cour de cassation en a fait une application générale [10]. D’ailleurs, confirmé plus tard par la loi sur l’initiative économique retranscrite à l’article L313-4 du Code monétaire et financier qui renvoie au Code de la consommation[11].

B)       La mention écrite du TAEG : les conditions de formes

L’écrit n’est pas exigé lorsqu’il s’agit d’une simple prorogation de crédit sans modification[12]. De même échappe aussi à l’exigence de l’écrit les prêts contractés à l’étranger, même si les emprunteurs résident en France.[13].    
L’obligation d’indiquer le TAEG s’étend à toutes les publicités ou offres de prêts, et à tous les écrits constatant un prêt.
L’exigence écrite du TAEG est une mention ad validitatem de la stipulation d’intérêts[14], et ne doit pas seulement contenir le mode de calcul de l’intérêt[15]. L’expression latine ad validitatem implique que l’écrit est requis pour qu’il soit valide.
La mention écrite est d’ordre public[16], on ne peut y renoncer. On peut citer en ce sens un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 15 octobre 2014[17], dans lequel les parties à un contrat de prêt avaient considéré que les circonstances étaient telles que le calcul du TEG ne pouvait être déterminé au préalable. Cette constatation avait mené l’emprunteur à reconnaître par écrit, qu’il renonçait à se prévaloir de la mention imposant de mentionner le TEG par écrit dans le contrat de prêt.
Sur la forme de l’écrit, le TAEG doit être mentionné de façon claire, précise et visible[18], et doit figurer dans une taille de caractère plus importante que celle utilisée pour indiquer toute autre information relative aux caractéristiques du financement[19].
Le TAEG s’applique aux contrats de crédit, il est soumis à des règles de fonds et de formes, notamment à celle d’une mention écrite, qui en cas de non respect entraîne une sanction civile et pénale non exempte de contestations.



II-                         Une nullité contestée

La mention écrite eu TAEG est une mention ad validitatem, qui en cas de non respect entraine la nullité de ce taux (A), bien qu’elle soit contestée (B).

A)         La nullité du taux annuel effectif global

L’exigence écrite du TAEG est une condition de validité du taux. La sanction est alors la nullité[20], qui est ici une nullité relative dont le préteur ne peut se prévaloir[21].
Cependant, l’absence d’écrit n’entraine pas la nullité du contrat de prêt, car cela aurait été au détriment de l’emprunteur. Le prêt ne devient pas non plus gratuit[22].
Ne pouvant pas prononcer la nullité du taux, et laisser ainsi le contrat sans aucun intérêt, le législateur a tenté de trouver une solution, un juste milieu et a mis un place un taux de substitution.
De manière simultanée, pour faire face aux ambitions du législateur, les banques ont tenté de faire reconnaître comme taux de substitution, un taux de base, un taux d’usage.
Mais la jurisprudence a tranché en faveur d’un taux légal[23], qui sera appliqué en cas de prononcé de déchéance de l’intérêt initialement prévu. L’excédent éventuel versé s’imputant sur le capital.
S’agissant de la prescription, celle-ci est de cinq ans[24] à compter de la date de conclusion du contrat. L’exception de nullité reste opposable, mais seulement pour faire échec à une demande d’exécution de la stipulation d’intérêt irrégulière non encore exécutée. La prescription est également de cinq ans pour demander la répétition des intérêts[25].
A savoir qu’en plus de la sanction civile, une sanction pénale est encourue[26] : une amende de 150 000 euros.
  
B)         Une sanction contestée

La jurisprudence a ainsi préconisé une sanction, qui est la nullité de la stipulation d’intérêt et la substitution du taux légal au taux d’intérêt légal conventionnel. Pour cela, elle s’est fondée contra legem[27], au motif que la mention écrite est une condition de validité de la stipulation d’intérêt. Seulement, cette solution n’est pas exempte de contestations.
Dans un premier lieu, elle pourrait paraître comme contraire à la force obligatoire des contrats, en ce qu’elle donne un pouvoir de révision au juge puisque l’on permet à ce dernier de substituer le taux initialement conclu par les parties, au taux légal.
D’autre part, cette sanction est à tout le moins un manque à gagner pour les banques. En raison de cette onéreuse sanction, elles supportent des frais importants. En effet, on observe une multiplicité de contentieux en la matière. Certains parlent même d’« aubaine contentieuse »[28] pour les emprunteurs, en raison du niveau bas actuel du taux légal.         
C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation a voulu contrer cet effet néfaste de cette explosion contentieuse. Elle décide d’accueillir cette action, seulement quand la différence entre le TAEG mentionné et celui qui aurait du l’être est inférieur, ou égal, à une décimale en ce sens, arrêt de principe de la Cour de cassation rendu par la première chambre civile le 26 novembre 2014[29], et confirmé le 9 avril 2015[30].
Toutefois, ce n’est toujours pas suffisant et les contentieux continuent d’augmenter.
La solution pourrait être,
d’indemniser le prêteur à hauteur du préjudice subit une fois prouvé pour éviter l’effet d’aubaine. Mais la cour de cassation s’y oppose toujours, notamment dans un arrêt rendu le 30 octobre 2012 par la chambre commerciale de la Cour de cassation[31].






[1] C. GAVALDA, Manuel droit bancaire, lexisnexis, 9ème éd, 2015, p.356.
[2] Art.1905 Code civil : « Il est permis de stipuler des intérêts pour simple prêt soit d'argent, soit de denrées, ou autres choses mobilières ».
[3] http://www.fbf.fr
[4] Art. L314-3 Code de la consommation : « Pour les contrats de crédit entrant dans le champ d'application des chapitres II et III du présent titre, le taux effectif global est dénommé " Taux annuel effectif global" » c’est-à-dire pour les crédits mobiliers et immobiliers.
[5] T. BONNEAU, Droit Bancaire, LGDJ, 11ème éd, 2015, p.70.
[6] Art L314-6 du Code de la consommation.
[7] https://www.banque-france.fr
[8] Article L314-5 du Code de la consommation.
[9] C. GAVALDA, Manuel droit bancaire, lexisnexis, 9ème éd, 2015, p.357.
[10] Cass.com., 10 juin 2008, 3 arrêts n° 06-18906, 06-19905, 06-19452.  
[11] Art. L313-3 du Code monétaire et financier : « Les règles relatives au taux effectif global des crédits sont fixées par les articles L. 314-1 à L. 314-5 et L. 341-49 du code de la consommation ».
[12] Cass.com. 9 juillet 2002, n° 00-22512.
[13] CA Pau 2ème ch. 1er mars 2001, Épx Brousse c/Banque de Vasconia.
[14] Cass. 1ère civ., 21 janvier 1992, n° 90-18121.
[15] Cass., civ. 2ème section, 19 mai 2005.
[16] Art. L314-26 du Code de la consommation.
[17] N° 13-17215.
[18] Art. L312-6 du Code de la consommation.
[19] Art. L312-8 du Code de la consommation.
[20] Cass. 1ère civ., 28 juin 2007, n° 06-10209.
[21] Cass.1ère civ., 21 février 1995, n°  92-18019.
[22] Cass. com., 15 octobre 1996 : JCP E 1996, II, 921, note Pollaud-Dulian.
[23] Cass. 1ère civ., 26 mai 1982, n° 81-11715.
[24] Art. 2224 du Code civil.
[25] Cass.  1ère civ., 24 septembre 2002, n° 00-21278.
[26] Article L341-49 du Code de la consommation.
[27] Art. L314-5 du Code de la consommation.
[28] H. Sefiane, « La sanction critiquable du TEG absent ou erroné », La semaine juridique des entreprises n°10,10 mars 2016, 1141.
[29] N° 13-23033.
[30] Com. 1ère civ., 9 avril 2015, pourvoi n° 14-14216.
[31] N° 11-22258.

LES DÉPOSITAIRES D'OPCVM ET DE FIA





LES DÉPOSITAIRES D'OPCVM ET DE FIA




Lilia ALLAOUA
Ali HILASS
Jean-Eudes BENARD

(06 mars 2017)

Summary :
Undertakings for collective investment in transferable securities (UCITS) and Alternative investment funds (AIF) are investment funds having an obligation to deposit their financial securities to depositaries. The duties of these depositaries split into two categories. On one hand, they have to ensure the keeping of the securities that are given to them, by holding custody accounts. On the other hand, they must control the investment funds’ activity, in order to check if they take good and consistent decisions. Given the nature of their duties, depositaries can be held liable for the loss of securities or for a breach in their contractual obligations. Finally, they can be sued for specific criminal offences and be subject to disciplinary sanctions by the Financial Markets Authority.

Résumé :
Les OPCVM et FIA sont des fonds d’investissement ayant pour obligation de déposer les titres financiers qu’ils détiennent auprès de dépositaires. Les fonctions de ces dépositaires se divisent en deux catégories. En premier lieu, ils ont pour mission d’assurer la conservation des actifs qui leurs sont confié, par la tenue de comptes-conservation. En second lieu, ils ont l’obligation de contrôler l’activité de ces fonds d’investissement, afin de s’assurer qu’ils prennent les bonnes décisions, et ce, en toute régularité. De par la nature de leur mission, ils peuvent également voir leur responsabilité mise en cause pour la perte des instruments financiers ou bien en cas de négligence dans l’exécution de leurs obligations. Enfin, ils peuvent être poursuivis pour des infractions pénales spécifiques à la gestion collective et être sanctionnés parallèlement par l’Autorité des Marchés Financiers à titre disciplinaire.


Introduction


Les organismes de placement collectifs (OPC) ont pour but de faire le lien entre les agents économiques ayant une capacité de financement, les épargnants, et les agents ayant un besoin de financement, autrement dit les entreprises. Ces organismes, que l’on appelle couramment les fonds d’investissements, sont des portefeuilles de valeurs mobilières gérés par un tiers, des sociétés de gestion, et détenus collectivement sous forme de parts par des investisseurs particuliers ou institutionnels[1]
Ces organismes se divisent en deux catégories distinctes que sont les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et les fonds d’investissement alternatifs (FIA). Les premiers sont commercialisables dans toute l’Union européenne tandis que les seconds représentent les autres placements collectifs commercialisés en France[2]. Les OPCVM sont les portefeuille réglementés par les cinq directives OPCVM de l’Union européenne[3]. Les FIA quant à eux “constituent une catégorie fourre-tout”[4] issue de la directive du 8 juin 2011[5]
Il existe également une autre distinction juridique fondamentale entre les sociétés d’investissement à capital variable (SICAV), qui sont des sociétés anonymes à capital variable qui émettent des actions au fur et à mesure des demandes de souscription, et les fonds communs de placement (FCP), qui sont des copropriétés de valeurs mobilières, dénuées de personnalité morale, qui émettent des parts et qui sont gérés par une société de gestion.
Les OPCVM et les FIA ont l’obligation de confier leurs actifs à un dépositaire unique[6]. Ces dépositaires sont énumérés de manière exhaustive par les textes[7]. Il existe des dépositaires potentiels communs aux OPCVM et aux FIA, tels que la Banque de France et la Caisse des Dépôts et des Consignations, mais également des dépositaires spécifiques aux FIA, tels que les succursales établies sur le territoire français d’établissements de crédit ou d’entreprises d’investissement ayant leur siège dans un état membre de l’Union européenne. Comme l’a rappelé la jurisprudence du Conseil d’Etat, l’OPC, le dépositaire et la société de gestion doivent agir de manière indépendante et dans le seul intérêt des porteurs de parts ou actionnaires de l’OPC[8]Le rôle de ces dépositaires est de conserver les actifs de ces OPC, par la tenue de comptes-conservation, et de s’assurer que ces derniers prennent les décisions adéquates et ce, en toute régularité. 

Ainsi, il conviendra de s’interroger sur les différences de régime existant entre les dépositaires d’OPCVM et les dépositaires de FIA. Il sera ainsi traité successivement des fonctions de ces dépositaires (I), puis de leur responsabilité (II). 


I/ Les fonctions des dépositaires d’OPCVM et de FIA

Les dépositaires d’OPCVM et FIA ont deux missions principales, à savoir la conservation des actifs détenus par les organismes de placement collectifs (A) et s’assurent de la régularité des décisions de l’OPCVM ou du FIA ou de sa société de gestion (B).

A/ La conservation des actifs détenus

Les notions et obligations sont précisées par le règlement délégué de la Commission Européenne du 17 décembre 2015[9], inspiré de celles retenues pour le dépositaire de FIA par le règlement délégué du 19 décembre 2012[10]. Les obligations pesant sur le dépositaire d’un OCPVM se trouvent à l’article L214-10-5 du Code monétaire et financier (CMF), et celles des dépositaires d’un FIA se trouvent à l’article L214-24-8 du même code.

Au vu des disparités de définitions de la notion de garde d’une chose entre les Etats membres risquant d’aboutir à une protection variable des investisseurs, le législateur européen a précisé cette notion dans la directive OPCVM 5[11], trouvant sur ce point son inspiration dans la directive AIFM[12]. En effet, les fonctions des dépositaires des OPCVM et des FIA sont pratiquement similaires, si ce n’est identiques.

Ainsi, tous deux ont cette obligation de conservation des actifs détenus. En effet, l’article L214-10-1 du CMF dispose en substance que le dépositaire d’un OPCVM est tenu de la conservation des instruments financiers sur un compte d’instruments financiers. L’article L214-24-8, I, 1° relatif au FIA dispose exactement la même chose.

Tout comme le dépôt traditionnel de droit commun, qui est un contrat où une partie (le déposant) demande à une autre partie (le dépositaire) de conserver la chose afin qu’elle puisse lui être restituée ultérieurement dans le même état[13], le dépositaire est tenu d’une obligation de conservation et d’une obligation de restitution.

L’obligation de garde est une obligation de résultat.  La responsabilité du dépositaire est engagée du seul fait de l’existence de la perte des instruments financiers conservés[14].

Par ailleurs, les dépositaires d’OPCVM comme de FIA doivent faire en sorte que la diligence requise soit exercée à l'égard des instruments financiers conservés, afin de garantir un niveau élevé de protection des investisseurs.

La seule différence dans cette obligation commune de garde des actifs réside dans le fait, que le dépositaire d’un OPCVM a une obligation supplémentaire. Cette obligation supplémentaire consiste en l’inventaire complet de tous les actifs de l’OPCVM à la société de gestion ou à la SICAV[15].


Parallèlement à leur obligation de conservation, les dépositaires sont soumis à une obligation de contrôle des décisions des OPCVM et des FIA.

B/ L’obligation de contrôle    

L’obligation de contrôle est commune aux deux types de dépositaires. En effet, toutes deux s’assurent que la vente, l’émission, le rachat, le remboursement ainsi que l’annulation des parts ou actions seront conformes[16].

Le contrôle doit être effectué en vertu des dispositions législatives, réglementaires, au règlement et aux documents, ainsi qu’à leur prospectus. Non seulement les deux dépositaires ont une obligation de contrôle, mais l’objet du contrôle est également commun.

Les dépositaires d’OPCVM et de  de FIA doivent s’assurer du calcul de la valeur des parts ou actions. Ils veillent à ce que les paiements effectués par les porteurs aient été reçus et que toutes les liquidités aient bien été comptabilisées. Dans le même ordre idée, ils s’assurent du calcul de la valeur des parts ou actions, et que la contrepartie soit remise dans les délais d’usage. D’autre part, ils s’assurent que les produits reçus aient une affectation conforme aux documents précités[17].

En revanche, la mission de contrôle de la régularité des décisions est une obligation de moyens, et le dépositaire n’a pas à s’immiscer dans la gestion de l’OPCVM ou du FIA.

La directive OPCVM 5 s’inspirant de la directive AIFM a créé une nouvelle obligation à la charge du dépositaire, celle du suivi des flux de liquidités appelé « cash monitoring »[18].
 Le dépositaire doit veiller au suivi adéquat des flux de liquidités de l’OPCVM, et plus particulièrement, à ce que tous les versements effectués par des investisseurs ou pour leur compte lors de la souscription de parts de l’OPCVM aient été reçus. De même, les dépositaires doivent s’assurer que toutes les liquidités de l’OPCVM aient été comptabilisées sur des comptes de liquidités[19].

Enfin, les dépositaires sont tenus d'une obligation de surveillance des instruments financiers. Ils doivent faire en sorte que tous les risques de conservation pertinents, tout au long de la chaîne de conservation, fassent l'objet d'une évaluation et d'un suivi. Ils doivent également mettre en place des dispositions organisationnelles appropriées pour minimiser le risque de perte ou de diminution de la valeur des instruments financiers, ou des droits liés à ces instruments, du fait de fraudes, d'une gestion déficiente, d'un enregistrement inadéquat ou de négligences[20].

Les dépositaires sont ainsi soumis à une obligation de conservation des actifs et à une obligation de contrôle de l’activité des OPC. Ces obligations imposées aux dépositaires peuvent engager la responsabilité de ceux-ci en cas de manquements.

II/ La responsabilité des dépositaires d’OPCVM et de FIA

Les dépositaires d’OPCVM et de FIA peuvent être sanctionnés tant sur le plan civil pour manquement à leurs obligations contractuelles (A) que sur le plan pénal et disciplinaire (B).

A/ La responsabilité civile

En vertu de l'article L. 214-24-10, I[21] du CMF, en cas de perte des instruments financiers conservés, le dépositaire est responsable à l'égard du FIA ou à l'égard des porteurs de parts ou actionnaires. La responsabilité est mise en œuvre sur le seul constat de la perte des instruments financiers. Il s'agit d'une responsabilité stricte selon la Cour de cassation[22].  

Pour certains, il s’agit d’une responsabilité sans faute ou responsabilité objective, pour d’autres, une présomption de faute, l’inexécution d’une obligation de résultat impliquant la faute contractuelle. Étant contractuellement tenu avec l'OPCVM ou les investisseurs, le dépositaire doit restituer les instruments financiers perdus, même si la perte est due au sous-conservateur. En cas de manquement par le dépositaire à ses autres obligations (garde des actifs non susceptibles de conservation, contrôle, suivi des flux financiers, règles organisationnelles et règles de bonne conduite), sa responsabilité est engagée en cas de négligence ou de mauvaise exécution intentionnelle de ses obligations.

Il incombe au demandeur à l’action en responsabilité d’établir que le dépositaire a commis une faute. La directive ne précise cependant pas selon quel standard – par exemple le dépositaire avisé placé dans les mêmes circonstances – doit s’apprécier la faute. Il convient en ce cas de se référer au droit national.

La responsabilité du dépositaire peut être exonérée s'il prouve que la perte résulte d'un événement extérieur échappant à son contrôle raisonnable et dont les conséquences auraient été inévitables malgré tous les efforts raisonnables déployés pour l'éviter[23].

Trois conditions cumulatives sont nécessaires, à savoir la perte ne doit pas résulter d'un acte ou d'une omission du dépositaire ou du délégataire ; le dépositaire ne doit pas avoir pu raisonnablement prévenir l'événement ayant entraîné la perte, même en prenant toutes les précautions qui caractérisent un dépositaire diligent selon la pratique courante du secteur ; le dépositaire doit pouvoir prouver que la perte n'aurait pas pu être évitée en dépit de tous les efforts qui auraient raisonnablement pu être déployés.

La directive OPCVM V[24] admet une cause d’exonération spécifique au droit de l’Union européenne, qui a vocation a priori à se substituer au droit commun. Celle-ci est plus favorable au dépositaire que ne l’est celle de droit commun puisqu’elle ne comporte pas la condition d’imprévisibilité. Il est expressément précisé que « la délégation à un tiers de la garde des actifs de l'OPCVM mentionnée au II de l'article L. 214-10-5 n'exonère pas le dépositaire de sa responsabilité »[25].La directive OPCVM  prohibe à son article 24§3 les clauses limitatives de responsabilité. Elle vise à protéger les investisseurs non-professionnels.

Le code monétaire et financier dispose à son article L. 214-11 al. 4[26] que la “la responsabilité du dépositaire (…) ne peut pas être exclue ou limitée contractuellement. Tout accord contraire est nul”. Ces dispositions visent les clauses limitatives et d'exclusion de responsabilité, tant celles qui portent sur l'objet (réparation) ou celles portant sur l'effet (limitation ou exclusion de la responsabilité). Cela s'applique à une délégation de garde à un tiers mais n'existe pas pour les FIA.

Quant aux dépositaires de FIA, ils peuvent contractuellement se décharger de leur responsabilité. L'article L. 214-10, II et III[27] du CMF admet des clauses expresses d'exonération de responsabilité assorties d'un transfert corrélatif de responsabilité au délégataire dans deux situations différentes : l'existence d'une raison objective et le cas particulier de l'entité locale non éligible aux fonctions de dépositaire.

 L'exonération contractuelle de responsabilité de la directive AIFM transposée est assortie du transfert de responsabilité au délégataire. Cela nécessite la signature d'un second contrat passé entre le dépositaire et le délégataire. Il s'agit d'une stipulation pour autrui , donnant naissance à une action directe de nature contractuelle.


B/ Les sanctions pénales et administratives

Les dépositaires d’OPCVM et de FIA sont soumis à un régime similaire lorsqu’il est question de leur responsabilité pénale et disciplinaire.

Concernant la responsabilité pénale, ils sont tout d’abord susceptibles d’être incriminés tant pour des infractions de droit commun, tels que l’escroquerie[28] ou l’abus de confiance[29], que pour des infractions de droit spécial, telles que les infractions boursières[30].

Cependant, il existe également des infractions pénales spécifiques à la gestion collective et les dépositaires sont passibles de sanctions au titre de celles-ci. À titre d’exemple, le dépositaire peut se voir infliger des sanctions pénales en cas de délit d’entrave à l’exercice de fonctions de commissaires aux comptes d’un OPCVM ou d’un FIA[31]. Ce délit d’entrave peut résulter notamment de manipulations comptables destinées à induire en erreur le commissaire aux comptes et de lui dissimuler des pertes et des surévaluations d’actifs[32].

Par ailleurs, en cas de sanction pénale prononcée définitivement à l’encontre d’un dirigeant du dépositaire, la cessation de ses fonctions s’opère de plein droit et à cela s’ajoute une incapacité d’exercer celles-ci[33]. Qui plus est, tout porteur de part a la possibilité, lorsqu’un tribunal est saisi d’une action en responsabilité, de demander la révocation dudit dirigeant.

Concernant la responsabilité disciplinaire, la Commission des sanctions de l’AMF est compétente pour prononcer des sanctions de type disciplinaire ou pécuniaire en cas de violation d’une obligation professionnelle d’origine légale, réglementaire ou professionnelle[34].

Ces manquements potentiels sont très variés. Il peut par exemple s’agir de défaut de mise en place de plans de contrôle des OPCVM ou des FIA, d’insuffisance ou d’inadaptation de ces plans, ou encore de défaut d’alerte du commissaire aux comptes[35].

En revanche, les contentieux disciplinaires ainsi que leurs sanctions demeurent relativement rares, ce qui peut surprendre en raison du contraste avec l’intensité des obligations de ces dépositaires.









[1] Bonneau T., Droit bancaire, LGDJ, 2015, 11e éd, p. 695, n°931.
[2] Site AMF France, qu’est ce qu’un OPCVM.
[3] De la Directive 85/611/CEE du Conseil du 20 décembre 1985, dite directive OPCVM 1, à la Directive 2014/91/UE du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014, dite directive OPCVM 5.
[4] Bonneau T., ibid.
[5] Directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011, dite directive AIFM.
[6] Code monétaire et financier, articles L214-10 pour les OPCVM et L214-24-4 pour les FIA.
[7] Code monétaire et financier, article L214-10-1 pour les OPCVM et article 1er de l’arrêté ministériel du 25 juillet 2013 pour les FIA.
[8] CE, 6e ch., 24 mars 2014, n°363327.
[9] Règlement délégué 2016/438/UE de la Commission européenne du 17 décembre 2015.
[10] Règlement délégué 231/2013/UE de la Commission européenne du 19 décembre 2012.
[11] Directive 2014/91/UE du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014.
[12] Directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011.
[13] Code civil, article 1915.
[14] Code monétaire et financier, article L214-24-10, I.
[15] Code monétaire et financier, article L214-10-5, II.
[16] Code monétaire et financier, articles L214-10-5, III, 1° pour les OPCVM, et L214-24-8, III, 1°, pour les FIA.
[17] Code monétaire et financier, article L214-10-5, III, 5° pour les OPCVM et article L214-24-8, I, 1°.
[18] Guide de l’AMF sur la directive OPCVM 5 pour les sociétés de gestion de portefeuille.
[19] Code monétaire et financier, article L214-10-5, I, 1° pour les OPCVM et article L214-24-8, I, 1° pour les FIA.
[20] Directive 2006/73/CE du 10 août 2006.
[21] Code monétaire et financier, article L. 224-10, I.
[22] Rev. Droit bancaire et financier n°4, octobre 2013, étude 18, Directive AIFM et Proposition de directive OPCVM V : quelles conséquences sur la responsabilité des dépositaires en matière de délégation de conservation.
[23] Code monétaire et financier, article L. 214-11, al. 3.
[24] Directive n°2014/91/UE du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 modifiant la directive      2009/65/CE portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant    certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), pour ce qui est des fonctions de    dépositaire, des politiques de rémunération et des sanctions.
[25] Code monétaire et financier, article L. 214-11-1.
[26] Code monétaire et financier, article L. 214-11, al. 4.
[27] Code monétaire et financier, article L. 214-10, II et III.
[28] Code pénal, article 313-1.
[29] Code pénal, article 314-1.
[30] Code monétaire et financier, articles L465-1 à L465-3-3.
[31] Code monétaire et financier, article L231-4, III.
[32] Crim., 6 mai 2009, n°08-83.212.
[33] Code monétaire et financier, article L231-6, alinéa 1.
[34] Code monétaire et financier, article L621-9, II.
[35] Déc. Comm. sanctions AMF, 24 juin 2004, Banque et droit 2004, no 97, p. 69, obs. Bussière F.