LE
FINANCEMENT DU DÉVELOPPEMENT
Vers
une analyse des instruments de financement et de l’origine des fonds destinés
au développement : les cas de la Banque Internationale pour la
Reconstruction et le Développement et de l’Agence Française de Développement
Par
Mme Clémence Marie Noëline BOUCHET
RÉSUMÉ
Nous
associons bien trop souvent le Développement au mécanisme de financement qu’est
la donation. En effet, il existe une croyance forte selon laquelle seuls les
dons financent, de manière exclusive, le Développement. Or cette croyance est
erronée car bien trop loin de la réalité.
Cet
article a pour objectif de fournir un panorama complet du financement du
Développement. Pour cela, deux grands axes seront traités. D’une part, nous
nous intéresserons aux moyens et aux outils dont disposent les différents
acteurs pour financer le Développement et d’autre part, nous étudierons
l’origine de ces financements.
Dans
une perspective pédagogique, cet article a vocation à être un guide pour la
meilleure compréhension de l’interaction des nombreux acteurs du Développement
et de leur rôle respectif.
ABSTACT
Development is often only
mistaken and reduced to donations. In fact, there is a common belief that only
donations fund International Development. It is a rather false belief when it
comes to apprehend the complex social reality of Development.
This paper is meant to offer a complete overview of
the financing of Development. Regarding this ambition, two main axes will be set
out. First of all, we will look at the different means and tools used by actors
of Development. Then, we will analyse the origins of the funds directed towards
Development.
From a pedagogic perspective, this paper is meant to
be used as a guide for a better understanding of the interactions between the
numerous actors of Development and of their respective roles.
INTRODUCTION
Comprendre le
financement du Développement implique tout d’abord, de connaître les acteurs
qui participent à ce financement et ensuite, de savoir quel rôle joue ces
acteurs du Développement[1]. À
titre introductif, il est donc essentiel de déterminer quels sont ces acteurs
et de préciser leurs fonctions.
Les acteurs finançant le
Développement sont multiples et variés. La classification des différents
organismes de développement se fait traditionnellement selon deux
perspectives : l’une amène à penser les acteurs du Développement en
fonction de leur spécialisation géographique et sectorielle (tel que le Fonds
Fiduciaire d’Urgence de l’Union Européenne pour l’Afrique), l’autre se fonde
davantage sur le cadre qui est donné à l’action de ces acteurs dans le
Développement. En effet, il est d’usage courant de différencier les organismes
multilatéraux à vocation mondiale (tel que le groupe Banque Mondiale), à
vocation régionale voire sous-régionale (telle que la Banque Africaine de
Développement) des organismes bilatéraux (telle que l’Agence Française de
Développement). De même, il est classique d’opposer les bailleurs de fonds
(telle que l’Union Européenne) aux organisations non gouvernementales et à la
société civile (telle que l’Agence d’aide à la coopération technique et au
développement, ACTED).
Ces organismes remplissent deux
fonctions principales, à savoir, « la
mobilisation de fonds et l’assistance aux gouvernements en matière de
stratégies et de programmes de développement »[2].
Il importe de
détailler le régime juridique qui encadre le financement du Développement.
Il nous faudra dans un premier temps,
déterminer quels sont les instruments de financement dont disposent ces acteurs
(I). Dans un second temps, il
conviendra de clarifier l’origine des financements que ces acteurs canalisent
vers le financement du Développement (II).
I.
Les
instruments de financement mis à la disposition des acteurs du Développement
International
Sans détailler le
fonctionnement de chacun de ces instruments, il conviendra de distinguer les
instruments de financement du Développement mis à la disposition des organismes
multilatéraux à vocation mondiale telle que la Banque Internationale pour la
Reconstruction et le Développement (A)
de ceux mis à la disposition des organismes bilatéraux (B) et tout particulièrement, ceux mis à la disposition de l’Agence
Française de Développement (ci-après dénommée « AFD »).
A) Les
instruments de financement du Développement mis à la disposition des organismes
multilatéraux de Développement : le cas de la Banque Internationale pour
la Reconstruction et le Développement
La Banque
Internationale pour la Reconstruction et le Développement (ci-après dit « BIRD »)
a pour fonction principale d’offrir aux Etats membres éligibles une variété de
produits d’emprunt pour aider ces pays à atteindre leurs objectifs en matière
de Développement[3].
Il existe deux types de prêts proposés par la BIRD : le prêt dit « flexible »[4] et le
prêt dit « conditionnel »[5].
Concernant le prêt flexible, il a
pour avantage de permettre à l’emprunteur d’adapter les conditions de
remboursement. Ces conditions sont fixées lors de la négociation du prêt. Le prêt
flexible permet de gérer la monnaie de support mais aussi, le taux d’intérêt
appliqué à celui-ci durant toute sa durée. En effet, et afin de gérer le risque
de devise, il est prévu qu’une option de conversion puisse s’appliquer,
laquelle « permet de changer la
monnaie dans laquelle sont libellés les soldes non décaissés ou décaissés »[6]. De
la même manière, pour les prêts avec une majoration fixe, il est prévu que
l’emprunteur puisse passer « d’un
taux flottant à un taux fixe »[7] et
ce, afin de gérer le risque de taux d’intérêt.
Le prêt conditionnel, également connu
sous l’appellation d’option de tirage différé, est quant à lui utilisé pour
obtenir, de manière immédiate, des liquidités en cas d’évènements tels qu’une
catastrophe naturelle ou une récession économique[8]. Dans
tous les cas, les prêts de la BIRD sont accordés ou garantis par les
gouvernements des États membres.
Outre les prêts, la BIRD fournit des
garanties. L’accord de garantie désigne l’accord conclu entre un Etat membre de
la banque et la banque elle-même en vue de garantir un prêt[9].
D’une manière générale, le champ des
concours financiers dont dispose la BIRD est très réduit. En effet, ces
concours ne représentent que 30 à 40% du coût total des projets de
Développement. D’ailleurs, la moitié de tous les projets de Développement
International aidés par la BIRD bénéficie d’autres concours financiers (le
co-financement).
Les organismes de développement
multilatéraux à vocation mondiale, telle que la BIRD, disposent ainsi d’une
faible diversité d’instruments de financement du Développement. Nous verrons
que les organismes bilatéraux de développement n’hésitent pas à mettre à la
disposition des pays bénéficiaires de multiples instruments financiers,
permettant ainsi de concevoir le Développement comme une notion plurielle et
non comme une notion unique et invariable.
B) Les
instruments de financement du Développement mis à la disposition des organismes
bilatéraux : le cas de l’Agence Française de Développement
L’Agence Française
de Développement est, selon l’article R. 513-22 du Code Monétaire et Financier
(ci-après dit « CMF »), un « établissement
de crédit spécialisé qui exerce une mission permanente d’intérêt public au sens
de l’article L.511-104 »[10]. Ainsi,
l’AFD peut « effectuer des
opérations de banque afférentes à cette mission ».
Le champ des concours de l’AFD est
très large. En effet, il l’est en terme de typologie puisque selon l’article
R.513-25 du CMF, les concours de l’Agence « peuvent être consentis sous forme de prêts, d’avance, de prises de
participation, de garanties, de dons ou de toute autre forme de concours
financier ».
Ainsi, selon les dispositions
légales, l’AFD finance le développement par le biais d’instruments variés. Dans
tous les cas, le choix des aides utilisées dépend, en outre, de l’endettement
du pays bénéficiaire, du potentiel économique du projet, du niveau de
développement du pays et de la capacité du partenaire.
Concernant les prêts, ceux-ci peuvent
être octroyés soit à un Etat, à un organisme public bénéficiant d’une garantie
d’un Etat (prêt souverain) soit, ces prêts sont accordés à une entité (entreprise,
organisme privé ou public) ne bénéficiant pas d’une telle garantie (prêt
non souverain). Le champ des concours de
l’AFD est donc également large en terme de destinataires. L’article
R.513-25 du CMF dispose d’ailleurs que ces concours peuvent être consentis « aux Etats, à des organisations
internationales, à des personnes morales de droit public ou droit privé, à des
organisations non gouvernementales engagées dans le développement ou à des
personnes physiques ». Les prêts souverains comme non-souverains
peuvent être accordés soit, à des conditions de marché (prêts non
concessionnels) soit à des conditions bonifiées (prêts concessionnels).
Dans les prêts que les banques
octroient, l’AFD peut apporter sa garantie permettant ainsi de diminuer, en le
partageant, le risque pris par celles-ci. En effet, le dispositif ARIZ[11]
(Assurance pour risque du financement et de l’investissement privé en zone
d’intervention) a été mis en place en 2000 par l’AFD. Ce dispositif permet, en
outre, aux institutions de micro-finance d’accéder plus facilement aux
ressources bancaires. L’« ARIZ
garantie individuelle » permet un partage de risque accordé prêt par
prêt alors que l’« ARIZ garantie de
portefeuille » permet un partage de risque accordé pour un
portefeuille de crédits[12].
Le recours aux subventions fait quant
à lui, l’objet de certaines restrictions. En effet, les subventions sont
prioritairement destinées aux pays les plus pauvres. Une liste de pays prioritaires
est d’ailleurs arrêtée. Ces pays bénéficient d’au moins la moitié des subventions
de l’Etat et des deux tiers de celles mises en œuvre par l’AFD[13].
Les instruments de financement dont
dispose l’AFD sont donc classiques. Le seul outil particulier (en ce qu’il
constitue une singularité française[14]) mis
à la disposition de l’AFD est le contrat de désendettement et de développement
(plus communément appelés C2D). En effet, dans le cadre de l'article R. 516-7
du CMF[15],
l'AFD est chargée par Convention du 29 décembre 2003[16],
conclue avec les Ministres chargés de l'Économie, des Finances et des Affaires
étrangères, de mettre en œuvre des contrats de désendettement et de
développement. C’est, en pratique, la transformation d’une partie de la dette
en dons afin d’alléger le poids des dettes contractés par le pays bénéficiaire[17].
Il convient de préciser
quelles sont les origines des financements proposés par ces mêmes acteurs (II).
II.
L’origine
des fonds servant au financement du Développement
Dans ce titre, il
s’agira d’exposer comment les acteurs se dotent de capitaux leur permettant de
financer le Développement. Pour cela, nous préciserons dans un premier temps
quelles sont les ressources des organismes multilatéraux à vocation mondiale
et, notamment celles de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le
Développement (A) pour, dans un
second temps, s’intéresser à l’origine des fonds utilisés par l’organisme
bilatéral de Développement français, l’AFD (B).
A) Les
ressources de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le
Développement
Pour financer les
projets de développement dans les pays membres, la BIRD s’approvisionne par le
biais de deux mécanismes.
D’une part, la Banque finance ses
prêts en mobilisant ses fonds propres. Ses fonds propres qui sont eux,
constitués par le capital libéré et les réserves de la Banque. Car en effet,
une partie des ressources de la BIRD provient des souscriptions des États-membres
(quotes-parts)[18].
D’autre part, la Banque emprunte sur les marchés financiers par l’émission
d’obligations de la Banque mondiale[19]. Pour
cela, la BIRD a recours à des émissions qui sont soit à caractère mondial soit
adaptées aux besoins de marchés spécifiques.
De cela, nous voyons que
l’approvisionnement de la BIRD en fonds destinés au Développement International
est double, bien que majoritairement constitué par l’émission d’obligations sur
les marché financiers internationaux.
Les organismes multilatéraux à
vocation mondiale s’approvisionnent de manière classique et les organismes
bilatéraux suivent eux-aussi ce modèle d’approvisionnement, à la différence que
souvent, ces derniers bénéficient de ressources publiques de l’État dont ils
dépendent.
B) L’origine
des fonds mobilisés par l’Agence Française de Développement
L’origine des financements dont
dispose l’AFD est, elle aussi, de deux types. En effet, l’approvisionnement en
fonds destinés au Développement se fait par le biais de deux mécanismes
différents.
Tout
d’abord, l’AFD emprunte elle-même pour pouvoir ensuite prêter et ce, via l’émission
obligataire sur les marchés financiers internationaux. En effet, selon
l’article R.513-29 du CMF, l’AFD « emprunte
à court, moyen et long terme, en France et à l'étranger, soit auprès d'organismes
financiers, soit par émission de bons, de billets, de valeurs mobilières ou de
tout autre titre de créance. Elle effectue toute opération financière
nécessaire à son activité ». La bonne notation[20] des
émissions de l’AFD lui permet d’accorder, à son tour, des prêts à des
conditions favorables à ses bénéficiaire. Grâce à ce mécanisme, l’AFD se constitue
des fonds propres.
Ensuite, l’ADF dispose de ressources de l’Etat. En
effet, elle bénéficie de fonds publics pour financer des projets de
développement[21].
En contrepartie et en application de l'article 79 de la loi de finances
rectificative n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 modifié par l'article 88 de
la loi de finances rectificative n° 2003-1312 du 30 décembre 2003, l'Etat peut
percevoir un dividende sur le résultat de l'Agence[22].
Ainsi, l’origine des fonds destinés au Développement
mobilisés par l’AFD est double. La majorité des fonds provient des marchés
financiers mais, sont utilisées également, de manière minoritaire, les
ressources publiques de l’Etat.
[1] P. GUIRLET, Guide des organismes internationaux.
Financement multilatéral et développement, 1994, Paris, Les Éditions du CFCE, deuxième édition.
[2] P. GUIRLET, Guide des organismes internationaux.
Financement multilatéral et développement, 1994, Paris, Les Éditions du CFCE, deuxième édition, page 15.
[3] International Bank for Reconstruction and
Development, Articles of Agreement (as amended effective June 27, 2012),
Article I.
[4] Prêt flexible de la BIRD : Principaux
Termes et Conditions, La Fiche Produit, The World Bank, 2014.
[5] Manuel du service de la dette, Banque
Mondiale, Juin 2009.
[6] Prêt flexible de la BIRD : Principaux Termes et
Conditions,
La Fiche Produit, The World Bank, 2014.
[7] Ibid.
[8] Guide des prêts pour les emprunteurs de la
Banque Mondiale, page 17, Février 2017, World Bank Group. URL : http://siteresources.worldbank.org/BORROWERPORTAL/Resources/Disb_Handbook_French.pdf
[9] Conditions
générales applicables aux accords de prêt et de garantie pour les Prêts à
Spread Fixe, Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement.
[10] Article L.511-104
du Code Monétaire et Financier dispose qu’un « Etat peut confier une mission permanente d’intérêt public à un
établissement de crédit ou une société de financement qui peut effectuer des
opérations de banque afférentes à cette mission dans les conditions définies
par décret en Conseil d’Etat ».
[11]
« ARIZ : le dispositif de partage de risque de l’AFD », Agence
Française de Développement. URL : http://www.afd.fr/webdav/site/afd/shared/PORTAILS/PUBLICATIONS/PLAQUETTES/AFD-ARIZ-FR.pdf
[12] Site officiel de
l’Agence Française de Développement. URL : http://www.afd.fr/home/outils-de-financement-du-developpement/garantiesAFD
[13] Selon le Comité
interministériel de la coopération internationale et du développement du 31
juillet 2013.
[14] Revue de la politique du Contrat de
désendettement et de développement (C2D), Rapport final, page 6, PWC, 2016.
[15] L’article R.516-7
du CMF dispose que « L'agence gère pour le compte de l'Etat et aux risques
de celui-ci des opérations financées sur le budget de l'Etat. Les termes de ces
opérations font l'objet de conventions spécifiques signées au nom de l'Etat par
le ou les ministres compétents ».
[16] Convention du 29
décembre 2003 relative à la mise en œuvre de l'initiative bilatérale PPTE
(contrats de désendettement et de développement).
[17] M. DUPRÉ,
« Contrats de Désendettement et Développement (C2D) : un OVNI dans la
coopération française ? », Techniques
Financières et Développement, 1/2013 (n°110), p.33-36.
[18] International Bank for Reconstruction and Development,
Articles of Agreement (as amended effective June 27, 2012), Article II.
[19] « La Banque
Mondiale », La documentation française.
[20] Les émissions « senior »
de l’Agence, sans garantie directement de l’Etat, bénéficient de la notation
AAA de Standard & Poor’s et Fitch Ratings.
[21] Attention, l’AFD
ne reçoit pas de subventions de fonctionnement de la part de l’Etat.
[22] Rapport d'information
n° 766 (2013-2014) de M. Jean-Claude Peyronnet M. Christian Cambon, fait
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces
armées, déposé le 23 juillet 2014, « Agence française de
développement : quelles ambitions pour 2014-2016 ? ».