Les finances religieuses– H. Bouras, N. Karaboualy, M. Matouk
Les finances religieuses ont pour particularité de trouver leurs sources dans des fondements extra-financiers. En effet, les principes de la finance religieuse sont inspirés par les livres saints propre à chaque religion. De telles finances sont admises en vertu de l’article 1 de la Constitution française et de la liberté religieuse. Les dogmes religieux sont appliqués à des mécanismes purement financiers tels que les banques, les fonds d’investissement et les assurances. Ainsi, le mécanisme du crédit est adapté aux principes religieux et notamment en ce qui concerne la pratique des intérêts, strictement proscrit. Il en est de même pour les fonds d’investissement où les règles édictées par les Lois religieuses et l’AMF. Cet article traitera donc de la finance des religions juive, chrétienne et musulmane en évoquant les fondements de ces religions et leurs régimes. Il insistera particulièrement sur la conformité aux principes étatiques religieux, sur les acteurs de la finance de ces religions, et enfin sur le mécanisme de crédit et les fonds d’investissements et assurances.
Religious finances have the peculiarity of finding their sources in foundations extrafinancial. Indeed, the principles of religious finance are inspired by the holy books specific to each religion. Such finances are admitted under article 1 of the French Constitution and of religious freedom. Religious dogmas are applied to purely financial mechanisms such as banks, investment funds and insurance. Thus, the credit mechanism is adapted to religious principles and in particular about the practice of interests, strictly outlaw. It is the same for investment funds where the rules enacted by the religious Laws and the French Securities Regulator. This article present the financing of the Jewish, Christian and Muslim religions by referring the foundations of these religions and their legal regimes. It will insist particularly on the conformity with the religious principles, on the finances’s actors of these religions, and finally, on the mechanism of credit and the funds of investments and insurances.
En juin 2017, une polémique est née à Nice : le maire refuse que la société Noorassur, société d’assurance islamique, installe une enseigne sur son agence au motif que cela risque d’engendrer un trouble à l’ordre public. Le juge des référés du tribunal administratif de Nice, saisi par la société Noorassur, refuse de suspendre la décision du maire. Le Conseil d’Etat, par un arrêt du 8 décembre 2017, confirme ce refus. Dans le même temps, pour justifier ce refus, C. Estrosi affirme qu’il n’existe pas de finance chrétienne ni de finance juive. Cette affirmation se trouve contestée par le présent développement.
La finance religieuse s’entend des acteurs composant cette notion ainsi que des principes l’encadrant. On assiste à une émergence des finances éthiques profanes (finance responsable, finance solidaire) et religieuses.
La particularité de ce sujet réside dans son caractère inédit. Selon Jacques Robert : « L’Etat indifférent n’a pas à se demander ce qu’est une religion puisque, par principe, il n’en professe ni n’en connait aucune »[1]. Il n’existe aucune définition légale de la religion. Pour autant, la liberté de religion est consacrée par l’article 10 de la Déclaration Française des Droits de l’Homme de 1789[2]. La religion n’est pas totalement « ignorée » du corpus normatif, elle est encadrée et reconnue y compris dans le domaine financier. En droit français, l'exercice des activités bancaires, des services d'investissement et des services de paiement est réservé aux établissements bénéficiant d'un agrément et soumis à une surveillance particulière des autorités de contrôle. L'étendue des activités ouvertes aux établissements agréés dépend de leur agrément et, le cas échéant, de leur statut particulier. En matière de finance religieuse, seule la finance islamique est reconnue par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). L’AMF est une autorité publique indépendante et son rôle consiste à réguler les acteurs et produits de la place financière française. Elle réglemente, autorise, surveille et, lorsque c’est nécessaire, contrôle, enquête et sanctionne. Elle veille également à la bonne information des investisseurs et les accompagne, en cas de besoin, grâce à son dispositif de médiation.
Pour ce qui est de la finance chrétienne, elle n’a en France aucune existence juridique propre. Cependant, on trouve plusieurs acteurs bancaires et assurantiels, avec par exemple le crédofunding, qui est une plateforme de financement participatif qui a pour objectif de soutenir financièrement les projets de la communauté chrétienne compatibles avec la foi chrétienne.La finance chrétienne s’opère au sein du Vatican, mais également dans d’autres pays européen tel que l’Allemagne et l’Autriche. La finance juive n’est pas non plus reconnue en tant que telle en droit français mais trouve à s’appliquer en Israël.
Il conviendra d’aborder ces différents systèmes financiers au travers d’une analyse comparée et d’envisager les ressemblances et les dissemblances de ces religions.
Pour ce faire, il est nécessaire d’étudier dans un premier temps les fondements de la finance religieuse (I) puis le régime de la finance religieuse (II).
I. Les fondements de la finance religieuse
La finance religieuse trouve son fondement dans la conformité des règles qui lui sont applicables aux principes éthiques religieux (A) et dans la confiance en ses acteurs (B).
A. La conformité aux principes éthiques religieux
1. Les sources et principes inspirant la finance catholique
En ce qui concerne les principes de la finance catholique, il convient de se référer à la charte fondamentale de la finance éthique chrétienne[3]. Il s’agit d’une synthèse des pratiques et principes financiers chrétiens recensés à travers le monde.
En vertu de l’article 1erde la charte, « doivent être identifiés comme faisant partie du domaine de la finance éthique chrétienne, l'ensemble des acteurs, activités, produits, comportements, concepts et organisations, relevant du secteur bancaire, financier ou assurantiel, respectueux des principes fondamentaux ». La finance chrétienne est donc une finance éthique qui cumule, à la fois, les critères de la finance durable «financeISR» et ceux de la finance solidaire. En outre, elle ajoute d'autres critères éthiques spécifiques à la religion chrétienne[4].
La finance chrétienne reprend les principaux objectifs de la finance ISR(Investissement Socialement Responsable) qui se défini comme un placement qui vise à concilier performance économique et impact social et environnemental en finançant les entreprises et les entités publiques qui contribuent au développement durable quel que soit leur secteur d’activité. Ces principaux objectifs sont le long-termisme ; protection de la biodiversité ; défense des libertés fondamentales ; bonne gouvernance.
La finance catholique prétend également encadrer des opérations de nature bancaire et financière par des principes moraux directement issus de l'interprétation des textes religieux chrétiens (Bible) et de la doctrine de l'Église catholique romaine (Traité des vertus et des vices, Doctrine sociale de l'Église).
Dans son livre intitulé "Finance catholique", Antoine Cuny de la Verryère[5]présente sept principes financiers catholiques ("princificats") : prohibition du court-termisme, prohibition des investissements non vertueux, obligation de privilégier l'épargne vertueuse, prohibition des profits injustes, obligation de partage des profits, obligation de transparence, obligation d'exemplarité financière. Ces principes reprennent à leur compte les principes établis par les finances solidaire et responsable, et se réfèrent explicitement aux dogmes catholiques sur le fond et la forme.
2. Les principes financiers issus du judaïsme
Concernant la finance juive, il n’existe pas de sources disponibles à ce sujet. Néanmoins, à la lecture des écritures saintes, nous pouvons constater que la loi porte une attention particulière à l’indigent, au pauvre.
Les espoirs, les épreuves, les biens, tout doit être en commun[6]. Le bien-être doit donc être pour tous, partagé entre tous car tout est don gratuit de Dieu qui invite au partage. C’est là une éthique de générosité. Selon la loi Juive Dieu seul peut déclarer « Ceci m’appartient en propre car c’est moi qui l’ai fait » (cf. Ps 95, 4-5).
Dieu nous juge par conséquent responsable de l’emploi de nos biens : il désire que nous partagions ce qu’il nous a donné de produire avec justice compassion et générosité[7]. La loi tente ainsi d’atteindre le cœur de l’homme, dont on espère un geste pour secourir l’indigent.
La principale source de la foi juive est la Bible hébraïque (l'Ancien Testament des chrétiens), qui se compose de 24 livres. La Torah (« Loi»), ou Pentateuque, qui comprend les 5 premiers livres à savoir la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. Là, se trouve le Décaloguec’est-à-dire les dix commandements qui constituent la base morale de toutes les autres lois juives et de la morale chrétienne. Ces commandements constituent la Loi écrite, fondement du judaïsme. Sans cesse enrichie de nouvelles interprétations, cette loi écrite eut besoin d’être commentée oralement. Au cours des siècles, ces commentaires reçurent toutefois une certaine forme de cristallisation écrite ; ce furent successivement la Mishna, le Talmud, puis les Commentaires et les Codes.
3. Les principes éthiques inspirés par le droit islamique
Le droit islamique est régi par un ensemble de principes éthiques. La liberté de contracter en matière économique et financière se heurte à plusieurs interdits.
Dans un premier temps, les transactions entachées de ghararsont interdites, c’est-à-dire les transactions qui présentent un aléa ou une incertitude. Sa prohibition est fondée sur l’immoralité du gain, ce gain ne découlant pas d’un travail mais d’une prise de risque. L’incertitude est liée à la spéculation, qui consiste à tenter de prévoir le résultat futur d’un événement et peut aussi porter sur l’existence même de la prestation. Sont contraires à la morale islamique les contrats aléatoires, dans lesquels le contenu de la prestation dépend d’un événement susceptible de se produire pendant la durée du contrat[8], tel que les assurances. Cette incertitude génère une ignorance quant à l’équilibre du contrat entre deux cocontractants. Ainsi, à l’image du droit français de la consommation, le droit islamique interdit la pratique du ghararafin de protéger le contractant le plus faible et le profit qu’il procure est illicite (haram). Or, un contrat ne doit léser aucune partie.
La deuxième interdiction est celle liée aux jeux de hasard, le maysir.Cette interdiction va au delà de l’interdiction des jeux de casino car elle vide tout enrichissement injustifié moralement d’une partie au détriment d’une autre. Ainsi, sont interdits les paris, les ventes aux enchères, les loteries car ils contiennent un élément d’incertitude.
La troisième interdiction, et la plus importante, concerne la pratique du riba, qui signifie « accroissement » ou « augmentation ». Cette notion est souvent assimilé à celle d’intérêt et à l’usure des prêteurs d’argent mais elle est en réalité beaucoup plus large car le ribane se limite pas « au prêt à intérêt mais à toute prestation de sommes d’argent ou de choses fongibles dues par une personne à une autre engendrant un profit réalisé par l’un des parties sans contrepartie[9] ». L’usure se définit par l’exigence d’un intérêt excessif. Le terme ribane différencie par l’intérêt et l’usure puisque les deux sont interdites. Cette interdiction du ribaà plusieurs fondements. D’une part, « l’argent n’est qu’un outil de la valeur des biens, destinés à faciliter les échanges en dépassant l’économie du troc »[10] et d’autre part, la richesse ne peut pas résulter d’un enrichissement sans cause, et l’interdiction du gain sans effort ou sans responsabilité. Le prêt d’argent relève de cette interdiction. In fine, cette interdiction a pour objectif de protéger le débiteur et ainsi, un contrat qui serait entaché de ribaserait vicié.
B. Les acteurs des finances religieuses
1. Les acteurs de la finance chrétienne
Parmi les acteurs et les institutions de la finance chrétienne, et surtout catholique, on distingue l’Etat du Vatican, l’Eglise de France, les associations caritatives, congrégations religieuses françaises et les établissements commerciaux tels que les banques, les fonds d’investissements et les assurances. Il ne s’agit pas de banque catholique ou chrétienne, les choix des banques se réalisent sur d’autres fondements que les fondements éthique[11].
Les produits et acteurs de la finance solidaire se présentent rarement comme chrétiens, laïcité oblige. De sorte qu'en France, il n'existe, pour le moment, pas de banque ouvertement chrétienne, contrairement à l'Allemagne, l'Angleterre, ou les Etats-Unis. Il existe des banques « catholiquement compatible ». En France les seuls acteurs financiers ouvertement religieux sont les banques islamiques. Les acteurs catho-compatibles sont des acteurs qui appartiennent soit à la finance responsable, soit à la finance solidaire. La finance solidaire étant, au regard de ses critères, la forme de finance éthique la plus exigeante, elle est, a fortiori, la plus proche de la finance catholique.
En dehors de la France, existe d’autres acteurs catholiques, qui déclarent ouvertement être de confession catholique et qui soumettent une partie de leurs activités à des principes issues de la religion catholique. En Italie, peut être cité la banque Monte dei Paschi di Siena, la plus ancienne banque au monde encore en activité, fondée en 1472, à Sienne en Toscane (Italie). Elle est, à l’origine, un Mont-de-piété (Monte di pietà). Si ces institutions reposent sur un système de crédit populaire qui permet aux plus pauvres d’emprunter de l’argent, elles sont également fondées pour contrer, et contrôler, l’usure.
Les Caisses de crédit municipal, sont quant à elles, les descendantes des monts-de-piété français. Le 24 octobre 1918, un décret transforme les monts-de-piété en caisses de crédit municipal. Aujourd’hui leur statut est défini par la loi, ils sont des établissements publics communaux de crédit et d’aide social. Leur mission est de combattre l’usure par l’octroi de prêt sur gages corporels dont elles ont le monopole. Elles peuvent réaliser toutes opérations avec les établissements de crédit, recevoir des fonds des personnes physiques et des personnes morales, mettre à la disposition de ces personnes des moyens de paiement et réaliser avec elles des opérations connexes au sens de l’article L 311-2 du code monétaire et financier. Elles ont en effet obtenu l’agrément de l’Autorité de contrôle prudentiel.[12]
En Allemagne, on trouve plusieurs banques catholiques en activité[13], favorisés par l’absence de loi de séparation entre de l’Eglise et de l’Etat. Les principales banques catholiques romaine en Allemagne sont la Liga Bank, DKM Darlehnskasse, Bank im Bistum Essen, Bank Für Kirche und Caritasà Paderborn, Pax Bank, Bank für Orden und Mission, Steyler Bank. Il y a également la Banque pour l’économie sociale S.A (Bank für Sozialwirtschaft AG), puisque ses principaux actionnaires sont majoritairement des associations caritatives catholiques et protestantes[14].
En Autriche, l’Eglise catholique possède la majorité des parts de la banque privée Bankhaus Schelhammer & Schattera, elle est considérée comme la banque de l’Eglise d’Autriche[15].
Le banquier, qui appartient à une banque chrétienne, n'exige pas des rendements de 10% et ne se gargarise pas de la flambée des métaux ou de l'augmentation du prix de l'immobilier. Au contraire, le banquier de la finance chrétienne veut promouvoir le développement de tout homme et de tout l'homme, conformément au souhait de l'Eglise.
2. Les acteurs de la finance juive
Historiquement, il existait de grandes banques juives en France. La plus célèbre d’entre elle est la banque Rotschild mais il existait aussi la banque Lazard, Worms ou encore Transatlantique. D’autres banques juives de plus petite taille bénéficiaient d’un solide réseau et faisaient office d’apporteur d’affaires. Il s’agit des banques Spitzer, Thalmann ou Mannheimer qui ont existé jusqu’en 1940. La banque transatlantique fut considérée comme juive à compter de 1940[16]. En ce qui concerne la Banque Rothschild, elle a été fondée en 1817 à Paris mais elle a disparu après sa nationalisation en 1981.
De nos jours nous ne connaissons pas d’acteurs financiers, pas même israéliens se référant explicitement aux textes sacrés hébraïques dans le cadre de leurs activités professionnelles[17]. Il existe néanmoins un certain nombre de méthodes adressées aux ménages juifs pour devenir riche ou se conformer aux textes religieux[18].
3. Les banques islamiques et leurs contrôles
L’objectif premier des banques islamiques est de promouvoir l’activité dans le respect des règles morales et religieuses islamiques. Cette attitude s’impose à tout le personnel de la banque et guide la gouvernance interne de l’établissement. Une banque qui se réclame d’être islamique doit tenir compte des principes généraux imposés par l’Islam. Il s’agit d’une particularité de la finance islamique puisque le contrôle a une importance considérable au sein des banques islamiques. L’organe le plus important dans le système financier islamique est le Conseil de surveillance de la Charia(CSC). Il est chargé de veiller à ce que les opérations des banques s’inscrivent dans le cadre de l’éthique islamique en appréciant la conformité à la Charia. Il joue le rôle de légitimation et de confiance dans les banques islamiques. Des spécialistes réunis au sein d’un conseil religieux ont pour mission de vérifier que les banques islamiques respectent bien les principes et dogmes islamiques. Le nombre de membres au sein de ce conseil n’est fixé par aucune réglementation et dépend de la taille de la banque en règle générale et de ses activités. La conformité se traduit par le recours à l’expression de fatwa, c’est-à-dire l’opinion des juristes musulmans et par des audits de conformité à la charia.
Sur le plan externe, le Conseil des Services Financiers Islamiques (Islamic Finance Services Board – IGSB) est une organisation internationale de normalisation instauré en 2002 et a pour objectif d’harmoniser et d’adapter les normes islamiques au système bancaire islamique. Ce Conseil favorise et améliore la solidité et la stabilité de normes prudentielles et les principes directeurs pour l’industrie, des banques, des marchés de capitaux et des assurances.
Des organes profanes s’intéressent également à la finance islamique tel que le FMI, notamment dans son Programme d'évaluation du secteur financier (PESF) et ses rapports sur les normes et les codes puisqu'il s'occupe de tout ce qui relève de la stabilité bancaire, et la Banque mondiale qui se penche aussi sur ce sujet, dans le cadre de ses travaux sur la gouvernance d'entreprise.
Ce contrôle, au sein des banques islamiques, est une particularité qui lui est propre car il n’y a pas d’équivalent connu pour les autres finances religieuses.
II. Le régime de la finance religieuse
Les principes et les acteurs des différentes finances religieuses définis, il convient de s’intéresser au mécanisme du crédit (A) et du fonctionnement des fonds d’investissements et assurances (B) dans cette matière.
A. Le mécanisme du crédit dans la finance religieuse
1. Le crédit et la finance chrétienne
En principe dans la religion chrétienne le prêt à intérêt est déconseillé[19]. Il s’agit pour le prêteur de renoncer aux intérêts pécuniers que le prêt peut produire. La religion chrétienne ne fait pas du prêt à intérêt une interdiction mais plutôt une recommandation de ne pas prêter[20].
Cependant, en Allemagne, la Liga Bank et la Pax Bank proposent plusieurs types de crédit qui sont techniquement profane : prêt à la consommation à intérêt, possibilité d’avoir un découvert, crédit étudiant, crédit immobilier couvert ou non contre le risque de taux (utilisation d’un dérivé de taux), carte de crédit, etc.[21]Ce qui distingue une opération de crédit catholique d’une opération de crédit profane, c’est l’usage fait des dépôts et les bénéficiaires des fonds prêtés. En effet, les banques chrétiennes mobilisent leurs fonds pour, par exemple, soutenir la communauté chrétienne (la banque chrétienne Christian Community Credit Union), ou proposent des prêts pour aider les familles à payer la scolarité de leurs enfants dans des écoles catholique « les prêts Catholic School Tuition Loans » (la banque Catholic Federal Credit Union), ou proposent des prêts pour aider les couples à adopter des enfants « Adoption Loans » (la banque Catholic United Financial Credit)[22]. Tout investissement ou opération bancaire est possible si conforme aux principes financiers chrétiens.
Ces crédits sont proposés avec des intérêts, mais certaines banques renoncent aux intérêts tel que la banque en partie catholique GLS Bank afin de favoriser le financement des projets vertueux[23]. Egalement les banques catholiques allemandes renoncent habituellement à toute marge pour certains projets sociaux et caritatifs[24]même si l’intérêt n’est pas prohibé s’il est juste.
En France, peut être également cité le crowdfunding, appelé financement participatif. Le financement participatif est un mécanisme de collecte de fonds auprès du public en vue de financer un projet (créatif, entrepreneurial, humanitaire, etc.). Le crowfundingchrétien, dont CredoFunding[25]créée en 2014, est uneplateforme chrétienne de financement avec pour objectif de soutenir financièrement des projets chrétiens, par des opérations de dons ou de prêts.
En outre, le Crédit Municipal, forme moderne du Mont-de-Piété, propose à tout un chacun de un bien personnel moyennant une somme d’argent, le temps d’affronter une période d’instabilité financière. Cette institution de crédit populaire fonctionne sur le principe très réglementé du prêt sur gage, dont elle a le monopole public depuis 1810.
2. Les papiers valeurs et les intérêts dans la finance juive
Concernant les papiers-valeurs, les juifs ont semble-t-il joué un rôle considérable dans l’impersonnalisation du système du crédit grâce à l’apparition des papiers valeurs. Les papiers-valeurs correspondent aux valeurs mobilières du droit Français. Les valeurs mobilières correspondent à des titres financiers émis par des personnes morales qui sont généralement négociables sur le marché.
Le caractère essentiel du papier-valeur est de permettre la revendication du droit qui y est consigné : droit dont l’exercice ou le transfert ne peuvent s’effectuer légalement sans la possession du titre justificatif. Dans un papier valeur se trouve incorporée une relation d’exigibilité ou encore une relation de crédit.
On peut dire qu’une relation de crédit subit la mécanisation lorsqu’au lieu d’être représentée par des obligations personnelles existant entre deux personnes qui se connaissent, elle s’établit entre des personnes inconnues les unes aux autres et d’après des normes objectivées et des formes schématisées[26].
Les papiers-valeurs permettent l’objectivation de la relation d’exigibilité et d’obligation entre inconnus et peut à chaque moment s’étendre à tout nouveau créancier en possession du papier-valeur. Une relation de crédit impersonnelle se trouve alors établie.
Il existe différents types de papiers-valeurs : la lettre de change endossée, l’action ou encore les billets de banque.
La lettre de change la plus ancienne a été établie par le juif Simon Rubens en 1207. Cependant, cela ne prouve pas que la lettre de change soit une invention juive. Elle permet d’établir le droit d’exigibilité en faveur de n’importe quel tiers totalement étranger aussi bien au débiteur (tiré) qu’au premier créancier (au tireur) et sans qu’il soit nécessaire qu’un lien économique quelconque ait jamais existé entre ce tiers et le débiteur. L’endossement rend superflue la présence personnelle des intéressés.
On admet généralement que l’endossement des lettres de change n’a atteint son plein développement qu’au 17e. Il a été pour la première fois reconnu sans réserve en Hollande en 1651. Or tous les faits qui se rattachent aux finances et au crédit de cette époque en hollande du 17esiècle peuvent être ramenés à des influences juives. On peut considérer qu’à Venise l’endossement en tant que moyen de circulation était d’origine juive car au 17esiècle la circulation des lettres de change avait pour principaux agents les juifs.
L’action assure à son possesseur, quel qu’il soit un droit de participation au capital et au bénéfice d’une entreprise qui au point de vue personnel, lui est totalement étrangère.
Les rapports entre une personne et une entreprise commerciale deviennent indépendants non seulement de toute collaboration personnelle mais aussi de l’état de fortune réel de cette personne : ils sont objectivés dans une somme d’argent abstraite, susceptible de faire partie de plusieurs ensembles de fortune. On peut parler d’action dans le cas ou le capital se compose de plusieurs parties établissant le lien entre une entreprise et chacun des capitalistes qui y sont intéressés. L’action en tant que papier valeur moderne se situe au 18esiècle.
Le billet de banque ou banknote, assure au porteur un droit d’exigibilité à l’égard de la banque sans qu’il soit nécessaire qu’une convention quelconque ait jamais existé entre lui et cette banque. La réclamation du prêteur ne repose sur aucun rapport de créancier à débiteur ( par exemple sur un dépôt qu’il aurait confié à la banque).
Concernant les taux d’intérêts, ils font l'objet d'une interdiction catégorique d’exiger un intérêt quelconque de leurs frères ou compatriotes. Le prêt y est donc sans intérêt[27].
De manière générale, le prêt peut se définir comme la cession temporelle d’une chose à charge de restitution. C’est un contrat par lequel l’une des parties livre à l’autre une certaine quantité de biens à la charge pour celle-ci de lui en rendre une quantité équivalente et d’égale valeur. Il y a ainsi un temps ou la propriété du prêteur est remplacée par une créance.
On distingue deux sortes de prêts : le prêt à usage ou commodat, le prêt de consommation ou mutuum.
Le prêt à usage fait l’obligation à l’emprunteur de rendre la chose prêtée identiquement. Le prêt de consommation oblige l’emprunteur à rendre la chose prêtée non en nature mais en équivalent. Alors que le prêt à usage est essentiellement gratuit, le prêt de consommation suit d’autres modalités : il peut être gratuit comme il peut avoir lieu moyennant un prix. Ce prix est appelé intérêt, et lorsqu’il est stipulé le prêt de consommation est spécialement qualifié de prêt à intérêt.
En droit français, il existe un principe de liberté de fixation des taux d’intérêts depuis la loi du 28 décembre 1966 sur l’usure[28]. Les taux d’intérêts dits débiteurs sont en principe librement fixés par les parties mais il existe un taux légal de l’intérêt, fixé par décret qui joue lorsque les parties à une convention n’ont pas fixé d’autres taux. Le taux dit conventionnel est fixé par les parties dans la limite de l’usure[29].
Trois recueils comportent des dispositions relatives au prêt à intérêt : le code de l’alliance, le code deutéronomique, le code de sainteté qui sont compris dans la Torah. Dans le code de l’alliance, il est dit que tout prêt consenti à un compatriote démuni doit être fait gratuitement et sans exigence de quelque intérêt. Il s’agit d’un prêt d’argent d’israélite à israélite. Le code deutéronomique correspond à un idéal de communauté fraternelle. En effet, la loi y réaffirme l’interdit de tout profit sur quoi que ce soit, visant ainsi l’idéal d’un peuple fraternel où ne devrait pas exister des pauvres[30]. Alors qu’il est permis de demander un intérêt à l’étranger avec l’israélite on exige un traitement de gratuité. Le code de sainteté comporte des mesures relatives à l’étranger résident désigné sous le vocable de ger. L’étranger dont il s’agit ici n’est pas natif d’Israêl mais un « naturalisé » Israélite vivant en Israel et observant les lois et coutumes d’Israel[31].
Même si la loi interdisait de charger d’intérêt tout prêt alloué, elle autorisait cependant le créancier à prendre un gage sur son débiteur : le prêteur doit laisser son manteau en signe d’engagement. Néanmoins il est interdit de prendre en gage des objets de première nécessité par le code deutéronomique[32].
On constate alors que l’usage des gages qui sert à garantir les prêts est réglementé par certaines directives qui s’inspirent de considérations pleinement humanitaires[33].
Deux pratiques issues de la religion juive peuvent avoir une influence sur l’octroi ou le remboursement d’un crédit. Il s’agit de l’année sabbatique et de l’année du jubilé.
L’année sabbatique est une pratique qui revient tous les 7 ans. La grande préoccupation que l’on cherche à éradiquer par le biais de cette pratique c’est l’éradication de la pauvreté pour l’instauration d’une justice juste, fraternelle et solidaire.
Mais une question majeure peut se poser en termes de dette : s’agit-il d’une annulation de la dette ou d’une prorogation de l’échéance et donc d’une suspension de la dette ? Il est plus approprié de parler de prorogation, suspension[34].
Le législateur veut que l’année sabbatique soit pour le débiteur une année de semittâh, qui signifie renvoyer, repousser.
En ce qui concerne l’année de jubilé c’est une année sainte, une année de conversion durant laquelle le peuple se réconcilie avec Dieu, il se renouvelle en tant que peuple élu. La loi prévoit ainsi un retour périodique des propriétés et des personnes dans leur état primitif. Ainsi, ceux qui avaient aliéné leur champ ou leur maison pour obtenir un prêt d’argent rentreraient en possession de ce champ ou de cette maison sans avoir rien à rendre.
Attention, l’étranger non résident (le nokri) ne bénéficie pas des faveurs de l’année sabbatique et de l’année du jubilé[35].
3. Le partage du profit et des pertes dans la finance islamique
Les banques conventionnelles tirent leur viabilité et leur rentabilité lorsqu’elles octroient des emprunts dans la pratique des intérêts. L’islam proscrit de manière impérative la pratique des intérêts. Cependant, force est de constater que les banques islamiques parviennent à se maintenir dans la sphère financière.
Les banques islamiques assurent le financement en utilisant principalement deux méthodes. La première méthode s’applique aux opérations de partage des profits ou des pertes. Dans ce cas, la rémunération n’est pas fixée à l’avance mais dépend des résultats réalisés en aval de l’opération de financement. La seconde s’applique aux opérations de ventes/location de biens sur la base d’une marge fixe, la rémunération de la banque dans ce cas est une partie du prix de vente. Ces opérations consistent en la mise en place de partenariats. Les titulaires de comptes d’investissement sont assimilés à des actionnaires de la banque islamique dont ses activités doivent se baser essentiellement sur des opérations d’investissement réelles et non sur des opérations spéculatives.
Le partage du profit et de la perte (ou Profit Loss Sharing – PLS en anglais) permet aux banques d’établir un système sans intérêt et de fonctionner en conformité avec la Charia. Le partage du profit et de la perte est la principale particularité de la finance islamique puisqu’il a été présenté comme une alternative à l’élimination de la pratique d’intérêts dans le processus de l’intermédiation financière bancaire. Les parties prenantes à l’activité bancaire sont dans l’obligation de partager les risques et par conséquent les profits ou les pertes. Le risque encouru ici permet de légitimer la rémunération issue du projet de financement. En référence à ce principe, la finance islamique est appelée également Finance Participative. Ce principe signifie qu’un contrat ne doit pas être conclu de façon à ce que l’ensemble de ses clauses serait en faveur d’une seule des parties contractantes. Ainsi, les termes contractuels doivent être équitables afin d’éviter les positions d’abus de force de l’une des parties contractuel pour parvenir à la réalisation de la cohésion de la communauté.
L’idée du partage du profit et des pertes consiste à mobiliser les ressources nécessaires pour financer des activités productives ou des besoins de consommations. La banque islamique, une fois qu’elle dispose des fonds, doit les allouer efficacement dans des projets économiquement performants et socialement responsables tout en évitant la pratique du taux d’intérêt.
Le principe de partage des profits ou des pertes se concrétise essentiellement via deux types de contrats qui répondent pleinement aux exigences de la Charia et qui sont les contrats deMoudarabaet Mousharaka. Il s’agit de transactions où les parties impliquées partagent les pertes et les profits des activités dans lesquelles elles s’engagent.
Concernant le contrat de Moudaraba, il désigne le contrat conclu entre d’une part, un ou plusieurs investisseurs (appelé Rab El-mel– le principal, qui est le bailleur de fonds ou le propriétaire du capital) qui fournissent le capital et un entrepreneur qui assure le travail nécessaire pour fructifier ces fonds (appelé Moudareb). Les profits dégagés de cet investissement sont partagés selon une répartition déterminée à l’avance dans le contrat. La banque islamique peut intervenir soit en tant que Moudarebsi son rôle consister à placer et rentabiliser les capitaux pour le compte des investisseurs, soit en tant que Rab El-mel si elle vient de participer à une opération de financement. Si après l’investissement des fonds l’opération ne dégage pas de bénéfices, les pertes sont supportés en totalité par le bailleur de fonds (Rab El mel) sauf en cas de négligence du Moudareb(Agent) qui sera responsable d’une partie ou de la totalité des pertes si sa négligence est prouvée. En cas de gains, l’agent (Moudarib) est rémunéré par une partie des gains ainsi réalisés. La justice se concrétise dans le fait que le gain du bailleur de fonds (Rab El mel) représente la rémunération de son capital tandis que la rémunération du Moudarib(agent entrepreneur) représente la contrepartie de son effort fournie (travail) tout les deux associé à un certain degré de risque encouru.
Concernant le moucharaka(partenariat actif), il s’agit d’un contrat entre deux parties (ou plus) pour le financement d’un projet dont les pertes ou les profits sont distribués au prorata des contributions respectives au capital. Ce contrat est basé sur la moralité du client, la relation de confiance et la rentabilité du projet ou de l’activité financée.
Le partage des profits ou des pertes est déterminé au moment de la signature du contrat. Ainsi le taux de partage peut être fixé soit sur la base de négociation et de consentement mutuel, soit sur la base de la mise de chacune des parties contractantes. Dans ce contrat, la banque islamique et l’entrepreneur contribuent tous deux au capital nécessaire au démarrage d’une activité. La contribution au capital peut se faire soit par apport en numéraire, en nature, ou les deux. Ce contrat confère à chacun des associés le droit d'administrer les affaires de la société, ainsi que le droit de participer aux bénéfices ou aux pertes proportionnellement à leurs apports. Les parties contractantes assument conjointement les risques
In fine, le PSLest un mécanisme financier qui relie le capital financier à l’industrie et au commerce sans utiliser le riba. Ce système a montré une certaine résistance aux crises et aux chocs financiers dans la mesure où le profit n’est pas déterminé et où la perte peut être partagée[36]. La finance islamique montre dans ce cas de figure une certaine flexibilité face à la crise.
B. Les fonds d’investissements et les assurances comme instrument de la finance religieuse
1. Les fonds d’investissements
a. Les fonds d’investissement prenant comme source le judaïsme
La question est de savoir comment une collectivité religieuse ou un individu peut gérer son patrimoine en investissant dans des instruments financiers sans pour autant trahir les valeurs qui lui sont essentielles. Cette interrogation est au centre de la notion d’investissement confessionnel ou religieux (appelée en anglais le faith-based investing)[37]. Dans l’investissement confessionnel l’investisseur peut choisir des titres émis par des entreprises dont l’activité et le mode de gestion ne sont pas contraires aux valeurs fondamentales de sa religion.
Non définis par le législateur, les fonds d’investissements sont issus de la pratique de la gestion collective de portefeuille dont la particularité réside dans leur orientation religieuse[38].
L’expression fonds d’investissement désigne une catégorie juridique générique qui englobe des OPCVM coordonnés et non coordonnées c’est-à-dire non structurés conformément à la directive 2009/65/CE du 13 juillet 2009. Les fonds confessionnels peuvent revêtir la forme juridique de fonds communs de placement ou plus rarement celle de sociétés d’investissement à capital variable (SICAV). Toute la gamme de fonds d’investissements Français peut à priori être utilisée pour constituer des fonds d’investissements confessionnels sous réserve de la conformité religieuse de leurs règles d’investissement. Les fonds confessionnels et leurs gestionnaires ne font l’objet d’aucune règlementation spécifique. Ils relèvent du droit commun des organismes de placement collectif et donc des articles L214-1 et suivants du code monétaire et financier ainsi qu’à celles du règlement général de l’Autorité des Marchés Financiers en son livre IV. Les investisseurs pourront ainsi souscrire des parts de ces fonds avec l’assurance qu’ils ne contribueront pas au financement d’activités contraires aux valeurs véhiculées par la religion à laquelle ils appartiennent. L’établissement de critères religieux ne peut toutefois être opérant que si un contrôle de conformité des émetteurs de titres à ces critères est effectué avec rigueur. L’évaluation de la conformité religieuse est réalisée par la société de gestion du fonds avec l’aide d’un comité de conformité religieuse indépendant (exemple le sharia board ou Catholic advisory board) qui peut intervenir en amont comme conseiller dans l’élaboration d’un produit compatible à la loi religieuse. Son rôle essentiel consiste à émettre a postériori un avis de conformité religieuse des titres et à surveiller cette adéquation tout au long de la durée de leur détention par le fonds. Néanmoins il ne s’agit pas d’un avis contraignant.
Certains fonds d’investissement ne financent que des activités qui se conforment aux règles de la loi juive (halakha). Un exemple de Fonds d’investissement juif : le fond excellence Nessuah.
b. Les fonds chrétiens
Au même titre que les fonds islamiques prônent les valeurs de l'Islam, au même titre que les fonds éthiques prônent des sociétés responsables vis à vis de l'environnement, les fonds chrétiens se veulent respecter la morale chrétienne, les investisseurs recherchent de plus en plus des placements qui respectent leur propre morale.
La France connaît plusieurs opérateurs issus de la finance solidaire présumés compatibles (finance « catho-compatible ») par la Charte, notamment dans le domaine du microcrédit et des fonds de partage.
En France c’est une religieuse, Sœur Nicole Reille, qui crée le premier fonds d’investissement éthique en 1983. Le but étant de répondre au souci des congrégations qui souhaitent investir leur argent en cohérence avec l’enseignement de l’Église. L’association Éthique et investissement voit le jour en même temps, avec pour mission d’analyser les critères extra-financiers des entreprises : sociaux, environnementaux, bonne gouvernance… Trente ans plus tard, ces critères sont adoptés par l’ensemble de la finance solidaire. Mais une épargne « catho-compatible » continue d’exister, qui se réclame explicitement de la doctrine sociale de l’Église. Les caractéristiques de cette épargne reposent sur une morale chrétienne.
Les banques catholiques allemandes se caractérisent par leur implication dans la micro-finance, par exemple la Pax Bank propose des micro-crédits destinés au financement de projet des pays pauvres de la planète. La Pax Bank a créé, en 2011, le premier fond allemand totalement dédié aux micro-financements, le Invest in Visions Mikrofinanzfonds. La modification de la loi d’investissement a permis que soit investie la totalité des fonds récoltés auprès des investisseurs, tout en respectant les critères de transparences posés par la législation financière allemande. Le fonds micro-financier est utilisé par des établissements micro-financiers (Mikrofinanzinstitute) qui, agissent en tant qu’intermédiaires entre le fonds et les emprunteurs, pour conclure des prêts de montant minime[39]. Le fonds est géré par une filiale de l’Ecole de Francfort de finance et gestion[40], la « ConCap Connective Capital » et la société d’investissement Hansainvest.
Les fonds d’investissement respectant la morale chrétienne sont incorporés au sein d'un indice boursier, le Stoxx Europe Christian ou Christian Index. Fondé en mai 2010 par la société Stoxx, le Christian Index comprend plus de 500 valeurs provenant de l'indice STOXX Europe 600. Les valeurs composant cet indice sont choisies par un comité scientifique s'appuyant sur une morale chrétienne. Donc les sociétés sélectionnées ne vendent pas d’armes, ni commercialisent du tabac, ni développent les jeux d'argent ou encore produisent des contraceptifs. Cet indice n’est pas le seul dans sont genre, il existe son pendant américain : le FTSE KLD Catholic Values 400 Index, spécialisé sur les valeurs américaines et dont l'origine remonte à 1998[41].
Enfin la création de fond de partage chrétien a également vu le jour. À titre d’exemple, la banque Oddo qui créait en 2012 un fonds catholique nommé "Oddo Partage". Ce fond a pour objet la restauration de lieux de culte, la protection sociale des prêtres et des religieux, etc. Il combine le principe de partage du revenu et un investissement conforme aux principes éthiques recommandés par le Conseil pour les affaires économiques et sociales de la Conférence des Evêques de France. Les principes éthiques édictés par la conférence des évêques ont été incorporés dans la politique d'investissement[42].
c. Les fonds d’investissements islamiques
Les institutions financières islamiques ne sont pas étrangères à la pratique des fonds d’investissements et ces fonds, malgré leurs caractères religieux, sont encadrés de la même manière qu’un fonds d’investissement conventionnel.
La création d’un fond islamique est soumise au respect de conditions de fond. La gestion collective d’un portefeuille d’actifs conforme à la Charia ne fait pas l’objet d’un dispositif législatif et réglementaire spécifique en droit français. Les fonds d’investissements islamiques prennent la forme juridique de fonds commun de placement (FCP) ou de société d’investissement à capital variable (SICAV) et sont soumis au respect des dispositions spécifiques édictées par le Code monétaire et financier[43]et par l’AMF. Le droit français autorise la création d’une société de gestion dès lors qu’elle respecte les règles impératives du droit des marchés financiers (AMF). L’autorité des marchés financiers impose certaines exigences quant au fonctionnement de la société de gestions d’un fonds islamique. Cette société doit veiller à son indépendance, et cela signifie que le comité de conformité (shariah board) mis en place pour vérifier la conformité des titres sélectionnés à la Charia ne doit pas disposer de pouvoir dans la société de gestion, afin d’éviter tout conflit d’intérêt[44].
La détermination des investisseurs au sein d’un fonds islamique se fait en application des dispositions de l’AMF. Si l’AMF permet que la souscription soit réservée à une catégorie d’investisseurs, il n’est pas possible de réserver exclusivement la souscription de parts ou d’action d’un fonds d’investissement islamique à des personnes de confession musulmane, ni d’interdire cette souscription à des non-musulmans[45]. De telles dispositions seraient constitutives d’une discrimination à l’encontre de personnes physiques pouvant faire l’objet d’une condamnation pénale.
Les fonds d’investissements islamiques doivent faire l’objet d’un agrément délivré par l’AMF, et cela, sans qu’il y ait une quelconque atteinte au principe de laïcité. Le principe de liberté de croyance religieuse[46]garantit le respect de toutes les religions et permet de considérer les fonds islamiques en tant que manifestations d’une croyance et d’admettre leur existence. De plus, « la liberté contractuelle autorise la contractualisation du fait religieux [47]».
Les fonds islamiques sont soumis à la fois au droit commun des OPC et aux prescriptions religieuses dans le cadre de la sélection et la gestion de leurs actifs. En effet, le portefeuille du fonds le doit pas être composé de titres haram, c’est-à-dire à dire de titres illicites et entendu comme étant non conforme à la morale islamique. Le droit français n’interdit pas de sélectionner les titres en fonction de critères moraux ou religieux. Le filtrage islamique concerne également des critères quantitatifs. En effet, un ratio d’endettement et un ration de liquidité sont imposés pour toutes les sociétés financées par le biais d’un endettement portant intérêt. Ce ratio d’endettement suppose que le montant total de la dette de l’entreprise soit inférieur à 33% de la valeur de l’actif total. Même si le filtrage islamique permet à la société de gestion d’effectuer un tri entre tous les actifs existants sur le marché, il est tout de même difficile d’identifier des titres totalement purs, notamment quand il s’agit d’investir dans un groupe de société : la société mère peut présenter tous les critères alors qu’une de ses filiales non.
Concernant la gouvernance dans un fonds d’investissement islamique, la société de gestion, moudarib, est chargée de faire fructifier le capital qu’on lui a confié mais aussi de s’assurer de la conformité à la Charia. Ce contrôle de conformité passe par une information régulière des souscripteurs sur la dimension religieuse du fonds. En effet, le droit commun des OPC impose une obligation d’information à destination des investisseurs, qui passe par l’établissement d’un prospectus, le document d’information clé pour l’investisseur (DICI) qui mentionne de manière claire et explicite la dimension religieuse de la politique d’investissement du fonds. De plus, l’AMF attache une grande importance au principe de cohérence[48] : le contenu des documents doit être cohérent avec le DICI mais également avec l’investissement proposé. Si les produits proposés par la société de gestion sont faussement islamiques, ou qu’ils ne sont pas conformes aux convictions religieuses des porteurs de fonds, la commission des sanctions de l’AMF peut prononcer des sanctions disciplinaires et/ou pécuniaires.
2. Les assurances
a. Les assurances chrétiennes
Le contrat d'assurance est un contrat aléatoire par lequel un organisme dit "l'assureur" s'engage envers une ou plusieurs personnes déterminées ou un groupe de personnes dites les "assurées", à couvrir, moyennant le paiement d'une somme d'argent dite "prime d'assurance", une catégorie de risques déterminés par le contrat.
La liga Bank propose des assurances privilégiées de la compagnie VKB (VersicherungskammerBayern) avec un tarif préférentiel pour les prêtres et les employés d’église. Ces tarifs préférentiels concernent l’assurance-dépendance (Pflegeversicherung), assurance-accident, assurance responsabilité civile privés. La Liga Bank, comme la Pax Bank proposent pai ailleurs des produits de retraite complémentaire[49].
En France il existe au moins deux assurances chrétienne, les assurances Saint-Yves et Saint-Christophe. L’assurance Saint-Christophe se définit comme étant unemutuelle d’assurances des institutions et associations de l’économie solidaire : associations, ONG, organismes sanitaires et sociaux, enseignement, institutions religieuses, elle est réassurée depuis 1970 par le groupe AXA, mais garde ses valeurs religieuses[50].
b. Les assurances islamiques
Le contrat d’assurance islamique n’est pas un contrat d’achat à un tiers de protection contre une rémunération.
Le takafulest un accord entre membres d’un groupe donné et aux intérêts communs, appelés participants, qui décident collectivement de se garantir les uns les autres contre un certain nombre de revers ou de pertes potentiels, définis clairement dans l’accord, par l’intermédiaire d’un fonds commun alimenté par les ressources de chacun des membres du groupe et qui doit servir à indemniser les participants[51]. Cela correspond au modèle français de structure à but non lucratif, qui ce ne l’empêche pas, comme toute association de la loi de 1901, de réaliser des profits.
Dans ce système, l’assuré (l’adhérent) verse une cotisation à un fonds. En contrepartie de cette cotisation, les membres du fonds, les autres adhérents, acceptent de supporter collectivement le risque.
C’est le fonds des adhérents qui collecte les primes et paie les sinistres. A la fin de l’exercice, les surplus qui ne sont pas conservés comme provisions techniques sont remboursés aux adhérents ou versés sous forme de zakat(impôt islamique, constituant une des cinq obligations de l’Islam) à une institution charitable.
C’est le gestionnaire du fonds qui apporte le capital nécessaire à la création et à la solvabilité de la société. Les déficits éventuels du fonds sont renfloués par le gestionnaire.
La rémunération du gestionnaire du fonds peut se faire sous deux forme : d’une part, la wakalaqui peut être assimilée à un contrat d’agence. Le gestionnaire reçoit un montant déterminé à l’avance pour gérer le fonds. Ce montant est prélevé à partir des primes collectées par le fonds ; d’autre part, la moudharabaqui est une association du gestionnaire du fonds aux bénéfices réalisés par le fonds.
[1]RIDC 1994 page 629
[2]Dictionnaire droit des religions, sous la direction de F. Messner, CNRS editions, p617
[3]La charte fondamentale de la finance éthique chrétienne a été publiée le 15 août 2015, à Paris, par l'Observatoire de la finance chrétienne (OFCCFO) et rédigée par des laïcs financiers, juristes et universitaires européens
[4]A. Cuny de la Verryère, « La finance catholique : quels en sont les inspirations et les principes? », Recueil Dalloz, 2015, p.2000
[5]A. Cuny de la Verryère , « Finance catholique – Au fondement de la finance éthique et solidaire », EMS, 2013
[6]Pamphile AKPLOGAN : « l’enseignement de l’église catholique sur l’usure et le prêt à intérêt, l’harmattan, p35
[9]A. HAYDAR, Les banques islamiques, thèse, Paris, 1990, p. 100
[10]J. CHARBONNIER, Islam : droit, finance et assurance, 2011, Larcier, p. 40
[11]A. Cuny de la Verryère , op. cit.,p. 36
[13]A. Cuny de la Verryère, « Compatibilité conditionnelle – La très grande vitalité de la banque chrétienne – Catholiques et réformés », Agefi, n°19, 29/01/2013, p. 1.
[14]A. Cuny de la Verryère , op. cit.,p. 45
[15]A. Cuny de la Verryère , op. cit.,p. 45
[16]J-M Dreyfus, pillages sur ordonnances-aryanisation et restitution des banques en France (1940-1953), Fayard, p 36
[18]C. Cukierkorn, secret of jewish wealth revealed!, Adat Achim Synagogue, 2010
[19]Dans le Nouveau Testament, on relève deux textes qui ont trait explicitement à la question du prêt à intérêt. Le premier texte est tiré de l’Evangile de Saint Luc, aux versets 34 et 35 du chapitre 6 : « Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on ?... Prêtez sans rienattendre en retour ». Dans la religion chrétienne, jésus conseille de prêter sans espérer de service semblable ni la restitution du principale : le prêteur doit faire le sacrifice non seulement de tout intérêt, mais aussi du capital.
[20]P. Akplogan, « L’enseignement de l’Eglise catholique sur l’usure et le prêt à intérêt », L’Harmattan, 2010, p. 63
[21]A. Cuny de la Verryère , op. cit.,p.143
[22]A. Cuny de la Verryère , op. cit.,p.143
[23]B. Stemberger-Frey, « Alternative Banken – Moral oder Masche ? », Oko-Test, n°3, 2010, p. 102-113, 105
[24]B. Stemberger-Frey,ibid.
[25]Voir leur site internet : https://www.credofunding.fr
[26]S. WERNER, les juifs et la vie économique, payot, page 82
[27]Pamphile AKPLOGAN : « l’enseignement de l’église catholique sur l’usure et le prêt à intérêt, l’harmattan, page 31
[28]C. Gavalda, J. Stoufflet, Droit bancaire, lexis nexis, p356
[29]L313-3 code de la consommation : « « constitue un prêt usurairetout prêt conventionnel consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus du tiers, le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit pour des opérations de même nature comportant des risques analogues »
[30]Code Deutéronomique 23-20 : « tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère, qu’il s’agisse d’un prêt d’argent, ou de vivres, ou de quoi que ce soit dont on exige un intérêt. A l’étranger tu pourras prêter à intérêt, mais tu prêteras sans intérêt à ton frère afin que Yahvé ton Dieu te bénisse en tous tes travaux, au pays ou tu vas entrer pour en prendre possession »
[31]J. SOLER, la loi de Moise, aux origines du Dieu unique, Tome II, éditions de fallois, 2003 p91-100)
[32]Code Deutéronomique (24,6) : « on ne prendra pas en gage le moulin ni la meule : ce serait prendre la vie même en gage »
[34]H lesètre, article sur l’année sabbatique, op cit, col 1303-1304
[35]Code Deutéronomique (15,3) : « Tu pourras exploiter l’étranger, mais tu libéreras ton frère de ton droit sur lui »
[36]A. JAFARI, Droit bancaire islamique. Notions, mécanismes et protection pénale, 2014, L’Harmattan, p. 92
[37]I. Riasetto, Le faith-based un concept en droit bancaire et des marchés financiers, in E. Le Dolley (sous direction), les concepts émergents en droit des affaires, Paris LGJD, 2010 p163
[39]A. Cuny de la Verryère , op. cit.,p. 144
[40]Frankfurt School of Finance and Management
[41]Voir le site internet suivant : https://www.edubourse.com/guide-bourse/fonds-chretien.php
[42]Voir le site de l’observatoire de finance chrétienne suivant : http://christian-finance-observatory.blogspot.fr/2013/12/fonds-catholique-oddo-partage.html
[43]Articles L.214-1 et suivants, R.214-1 et suivants du Code monétaire et financier
[44]AMF, 17 juillet 2007, position n°2007-19
[45]D. MATRI, Gestion collective et finance islamique, Bulletin Joly Bourse, déc. 2015, n°12, p 568
[46]Article 1 de la Constitution française du 4 octobre 1958
[47]I. RIASSETTO, Religions et contrat in J.-M Woehrling, F. Messner et P.-H Prelot, Droit français des religions, Litec, coll. Traités, 2013, p. 1117
[48]Article 314-29 du règlement général de l’AMF
[49]A. Cuny de la Verryère , op. cit.,p. 149
[50]Voire le site de l’assurance Saint-Christophe suivant : https://www.saint-christophe-assurances.fr/