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4 juin 2018

RATIONS DE FONDS PROPRES DANS L'ACCORD DE FINALISATION DE BÂLE III DU 7/12/2017




RATIONS DE FONDS PROPRES DANS L'ACCORD DE FINALISATION DE BÂLE III DU 7/12/2017


La prudence épargne dix fois plus d’ennuis qu’elle n’en coûte”. Cette formule de l’écrivain Henri-Frédéric Amiel[1] semble revêtir une signification toute particulière dans le monde bancaire. En effet, la prudence y est plus que jamais de mise : Les faillites bancaires coûtent chères, bien plus chères que les procédures classiques[2], affirmation dument vérifiée par la Cour des comptes qui évaluait à 6,6 milliards le coût total du « renflouement externe » de Dexia par l’Etat français[3].
Les établissements les plus exposés au risque de défaillance d’un des opérateurs sont dits systémiques. La prudence appelle à ce que ces établissements fassent l’objet d’une règlementation plus rigoureuse, ce qui peut prendre la forme de règles de gestion des risques ou de renforcement de leurs fonds propres. Ces précautions ne doivent cependant pas être excessives. Pour citer un autre grand esprit, Jean-Jacques Rousseau, « La prudence, si elle prévient les grandes fautes, elle nuit aussi aux grandes entreprises ». Ce conflit entre efficacité des règles prudentielles et préservation de la croissance économique représente tout l’enjeu de la nouvelle règlementation issue du Comité de Bâle III amorcé depuis 2010. Le principal instrument de sécurisation du secteur bancaire apparaît être l’obligation de constitution de divers niveaux de fonds propres. 
Plutôt que d’augmenter purement et simplement le ratio McDonough de 8%, Bâle III apporte de véritables nouveautés dans le monde des mesures prudentielles, mesures déjà en vigueur à travers la règlementation européenne et notamment les directives CRD[4]. Pourtant, les acteurs du milieu bancaire se devaient d’apporter une meilleure réponse normative à la fragilité systémique du système bancaire, démontrée depuis par la crise des dettes souveraines en Europe. Surtout, le nouveau cadre prudentiel ne devait pas entraver le financement de l’économie.
C’est justement l’ambition de l’accord de finalisation de Bâle III du 7 décembre 2017[5], dont l’ampleur est telle que certains observateurs se sont inquiétés de l’émergence d’un véritable « Bâle IV » avant l’heure[6]. Cette version met en œuvre un nouveau système d’appréhension des risques opérationnels et de crédits, et ouvre la porte à une réforme du risque de marché. Il introduit également un nouveau ratio de levier alourdi pour les G-SIFIs (ou Global systemically important Financial institutions[7]). Ce nouveau ratio viendra gonfler l’arsenal existant, déjà renforcé via l’accord Bâle 2.5 de 2011 et lors des divers accords dans le cadre de Bâle III.
Comment cet accord de finalisation comble-t-il les lacunes de la règlementation Bâle III ?
Si le nouveau cadre prévoit, pour l’essentiel, une nouvelle calibration des modalités d’appréciation du risque (I), les négociations n’ont pas manqué d’explorer de nouveaux garde-fous en matière de fonds propres (II).

I-   La calibration des modalités d’appréciation du risque

Ce chantier s’est traduit par un resserrement des méthodes internes d’appréciation du risque (A), et par une amélioration du modèle standard (B). 

A-   Le resserrement des modèles internes d’appréciation du risque
Le ratio de fonds propres fondé sur les risques, le ratio «  McDonough », est calculé en divisant les fonds propres règlementaires aux actifs pondérés par les risques. Selon la formule, au dénominateur, plus les risques augmentent, moins la somme de la valeur des actifs est importante, ce qui a pour effet d’augmenter mécaniquement le ratio et donc l’obligation de constitution en fonds propres. Un enjeu majeur dans l’utilisation de cette formule est l’appréciation et l’évaluation des risques, élément délaissé par les premiers accords[8]. Bâle II avait prévu deux méthodes d’appréciation du risque. Une méthode standard, définie par la règlementation, et des modèles internes, développés par les établissements de crédit et permettant une prise en compte plus fine des risques, sous la surveillance des superviseurs.
Les modalités de calcul des actifs pondérés par le risque ont montré ces dernières années leurs limites et, de ce fait, ont suscité la méfiance tant des investisseurs sur les marchés financiers que des superviseurs. En effet, grâce aux différentes stratégies d’optimisation règlementaire et l’utilisation prédominante des méthodes internes dans les grandes banques, les niveaux affichés des actifs pondérés par les risques sont, en général, très inférieurs aux risques effectivement pris par les banques (ou tels que perçus par le marché) [9].De plus, les modèles internes de calcul des RWAs[10] présentent généralement une forte complexité tant du point de vue méthodologique que du point de vue de leur mise en œuvre, tout en restant insuffisants pour modéliser certaines classes d’actifs. Au final, il y a une grande variabilité des résultats d’une banque à une autre.
Les négociations dans le cadre de l’accord du 7 décembre 2017 ont permis de rétablir la possibilité d’utiliser des modèles internes, alors que les textes consultatifs de 2015 et 2016 ne le prévoyaient pas. Toutefois, plusieurs révisions ont été apportées au modèle interne.
L’accord du 7 décembre 2017 exclut le recours au modèle interne avancé[11] pour certaines classes d’actifs. Les banques ne peuvent plus utiliser cette approche pour calculer la probabilité de défaut, la perte en cas de défaut, l’exposition au défaut (EAD) et la maturité d’une exposition, pour ces classes d’actifs. Les risques liés aux actions sont désormais calculés uniquement via l’approche standard.
En matière de risque de crédit, la méthodologie est désormais plus conservatrice avec la mise en place d’un « output floor (planchers)» dans le calcul  des risques[12]. Le plancher révisé fixe une limite aux avantages que peut tirer, en termes de fonds propres réglementaires et par rapport aux approches standards, une banque utilisant les modèles internes. Cette idée déjà présente dans Bâle II a été renforcée. Le plancher permet de limiter l’inégalité concurrentielle entre les banques ayant la capacité de déployer des méthodes internes vis-à-vis des banques utilisant la méthode standard. Il permet d’accroitre la comparabilité des banques entre elles et renforce la crédibilité des niveaux de RWAs affichés. Ce plancher est fixé à 72,5 % des actifs pondérés totaux, calculés uniquement selon les approches standards. Il sera caractérisé par une entrée en vigueur progressive, 50% en 2022, 55% en 2023 et augmentation progressive du plancher de 5% tous les ans pour atteindre 70% en 2026 et 72,5% en 2027. Les expositions sur les banques et sur toutes les entreprises pourront toujours être pondérées en utilisant l'approche par modèles internes dite « de base »[13].

B-    L’amélioration de la méthode standard d’appréciation du risque
Les négociations autour de l’accord de finalisation ont également porté sur une refonte de la méthode standard d’appréciation des risques de crédit. Des améliorations techniques ont modifié substantiellement les documents consultatifs, conduisant à une baisse importante de la calibration de ces formules standards.Un axe structurant de la réforme est la remise en cause de la méthode standard en améliorant la granularité et la sensibilité aux risques de la matrice de pondération pour les différentes catégories d’exposition, y compris les expositions non notées. Ainsi, les crédits aux grandes entreprises subissent une pondération de 75 % au lieu de 100 % pour les entreprises notées BBB+ à BBB-, et les crédits aux PME une pondération de 85% au lieu de 100%. L’expositions sur les banques relève d’une pondération de 30 % au lieu de 50 % pour les banques notées A+ à A -.
Une approche plus fine pour l’immobilier résidentiel basée sur le principe que les pondérations des risques varient sur la base du ratio LTV[14] des prêts hypothécaires. Concernant les expositions sur l’immobilier commercial, des approches plus sensibles au risque que la pondération unique des risques ont été mises au point.
S’agissant des expositions sur la clientèle de détail, un traitement plus granulaire est instauré avec une distinction entre deux types d’exposition. D’un côté, les facilités renouvelables (« revolving » et « revolvers » où le crédit est généralement utilisé), de l’autre, les « transactors », où la facilité est plus un moyen de fluidifier les transactions qu’une source crédit[15].
Un autre objectif de l’accord du 7 décembre 2017 a été le réajustement du cadre existant relativement à l’appréciation du risque opérationnel. La crise financière a mis en lumière deux principales lacunes dans le cadre existant.
D’une part, les exigences de fonds propres en termes de risque opérationnel se sont révélées insuffisantes pour couvrir les pertes de certaines banques imputables à ce risque. D’autre part, la nature de ces pertes – liées à des systèmes et des contrôles inappropriés ou à des événements tels que des comportements répréhensibles -, a souligné les difficultés du recours aux modèles internes pour estimer les exigences de fonds propres au regard du risque opérationnel.
Par conséquent, le Comité a rationalisé le cadre du risque opérationnel. Les approches de mesure avancée (AMA) pour le calcul des exigences de fonds propres en regard du risque opérationnel (fondées sur les modèles internes des banques) et les trois approches standards existantes sont remplacées par une seule approche standard de sensibilité au risque, applicable à toutes les banques.
Deux éléments sont pris en compte pour déterminer les exigences de fonds propres nécessaires pour compenser ce type de risque : Le revenu de la banque et une mesure des pertes historiques de la banque. Cette approche part du postulat - plus psychologique qu’économique – selon lequel les « banques qui ont historiquement pâti de pertes plus importantes imputables au risque opérationnel sont jugées plus susceptibles de subir des pertes liées au risque opérationnel à l’avenir ».

II-  Introduction de nouvelles obligations en fonds propres

Bâle III innove en déployant de nouveaux mécanismes prudentiels, tel que le coussin de fonds propres contra-cycliques (A). L’accord de finalisation renforce également les obligations spécifiques visant les établissements à risque systémique (B).

A-  Le coussin de fonds propres contra-cyclique (countercyclical capital buffer : CCB)
Le coussin de fonds propres contra-cyclique est instrument macroprudentiel[16] qui se défini comme une surcharge en fonds propres CET1[17] ayant vocation à s’ajuster dans le temps afin « d’augmenter les exigences de fonds propres en période d’accélération du crédit et à les desserrer dans les phases de ralentissement »[18]. Cet instrument est déjà mis en œuvre dans le cadre de la CRD IV[19] depuis janvier 2016.  Tous les trimestres, le Haut Conseil de stabilité financière ainsi que ses homologues européens devront mettre en place un taux de coussin contra-cyclique en appliquant la méthode de calcul préconisée par le comité de Bâle[20].
Les banques sont invitées à créer ce volant et à le restituer une fois épuisé. Si cela est nécessaire pour constituer ce volant, les banques peuvent être amenées à suspendre toute distribution de bénéfices, distribution de dividendes, rachat d’actions, primes de rémunération, entre autres. Si les banques optent pour la répartition de bénéfices elles devront faire appel à l’augmentation de capitaux privés pour garantir la restitution du volant. Ce volant, à la différence des autres mécanismes prudentiels, a été mis sous la tutelle des autorités nationales qui interviennent si elles observent un accroissement excessif de l’économie dans leur juridiction, étant donné que le dispositif doit être mis en place seulement en moment d’expansion excessive et que les cycles économiques dans chaque pays ou région sont indépendants les uns des autres[21].
Pour les banques internationales le volant exigé sera une moyenne pondérée des volants exigés dans les juridictions où elles sont présentes.

B-  Une meilleure prise en compte des établissements à risque systémique
L’une des causes sous-jacentes de la crise financière a été l’accumulation, dans le système bancaire, d’un effet de levier excessif au bilan et hors bilan. Or, de nombreuses banques pratiquaient cette accumulation tout en présentant de solides ratios de fonds propres fondés sur les risques. Au plus fort de la crise, le secteur bancaire a été contraint par le marché de réduire son effet de levier d’une façon qui a accentué les pressions baissières sur les prix des actifs. Ce processus de désendettement a encore amplifié les réactions en chaîne entre pertes, baisse des fonds propres des banques et contraction de l’offre de crédit.
Le dispositif de Bâle III avait introduit un ratio simple, transparent et qui n’est pas basé sur le risque[22]. Ce « ratio de levier » est calibré pour compléter de manière crédible les exigences de fonds propres fondées sur le risque. Il a pour objectifs, d’une part, de limiter l’accumulation de l’effet de levier dans le secteur bancaire, contribuant ainsi à prévenir les processus d’inversion du levier, dont les effets déstabilisateurs peuvent être dommageables au système financier et à l’économie, et, d’autre part, de compléter les exigences fondées sur le risque par une mesure simple, non basée sur le risque, servant de filet de sécurité.
Une obligation particulière avait été mise à la charge des G-SIB[23]. L’accord de finalisation de Bâle III a établi un ratio de levier alourdi pour ces établissements[24].  Cette démarche est justifiée par le faible impact négatif de cette exigence pour les entités bancaires à risque systémique[25].
Le Comité de Bâle a publié sa consultation sur le ratio de levier en avril 2016. Les principaux changements introduits dans le texte final y étaient déjà : surtaxe pour les établissements globalement systémiques (G-SIB), utilisation de l'approche standard du risque de contrepartie pour les dérivés… Ainsi, le calibrage de la surcharge pour les G-SIB est fixé à 50 % de la surcharge sur le capital CET1, ce traitement existant déjà au Royaume-Uni avec un taux de 35 %.
Ce coussin additionnel pourra être couvert par du capital Tier 1 (et non du CET1 uniquement), sans plafond d'utilisation pour les AT1. Certaines des mesures préconisées par l'industrie, comme l’exonération totale des réserves des banques centrales ou le traitement de la marge initiale sur les dérivés compensés, n’ont pas été intégrées dans la norme finale.
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[1] AMIEL (Henri-Frédéric), Journal intime, le 26 juillet 1878.
[2] EECKHOUDT (Marjorie), “Défaillance bancaire - Les coûts indirects de la défaillance bancaire”, Revue des procédures collectives n° 1, Janvier 2018, dossier 7.
[3] C. comptes, Rapport public annuel 2016, févr. 2016.
[4] La directive CRD IV  (Capital Regulations Directive IV) sur les fonds propres règlementaires a été adoptée par la commission européenne le 17 juillet 2013. Le texte est directement inspiré des exigences de Bâle III. 
[5] Comité de Bâle, « High-level summary of Basel III reforms », 7 décembre 2017.
[6] BILGER (Michel), « Le Comité de Bâle doit s’en tenir au mandat fixé par le G20 », Revue Banque n°798.
[7] Les G-SIFIs sont identifiés par la FSB (Financial Stability Board) eu égard à leur poids financier, la composition de leurs actifs et à l’exposition de ces-derniers à l’écosystème financier international. En 2017, le FSB a identifié 30 G-SIFIs, parmi lesquels les banques françaises BNP Paribas, Groupe Crédit Agricole et Société Générale. D’autres listes visent à identifier des risques systémiques nationaux ou régionaux : Les D-SIBs (Domestic systemically important banks ou national SIFIs) et les R-SIBs (Regional systemically important banks). 
[8] Séverine LEBOUCHER, Bâle IV, de quoi parle-t-on ?, Revue Banque n°795, 25 mars 2016.
[9] Les nombreuses titrisations réalisées à partir des années 2000 étaient opérées pour se mettre en conformité avec la règlementation Bâle I puis Bâle II.
[10] Le Risk-Weight Assets (RWA) correspond aux actifs pondérés par le risque, c’est-à-dire le montant minimum de capital requis au sein d’un établissement de crédit en fonction de leur niveau de risque.
[11] Contrairement au modèle interne classique, le modèle interne avancé (Advanced internal ratings-based approach, A-IRB), permet aux banques d’élaborer leurs propres modèles quantitatifs pour estimer le risque de défaut (PD), l’exposition au défaut (EAD) et les pertes en cas de défaut (LGD). Le modèle interne classique ou Foundation internal ratings-based approach (F-IRB) suppose l’utilisation des paramètres établis par les régulateurs locaux.
[12] Bank for international settlements, Bâle III : Finalisation de la réforme post-crise, décembre 2017.
[14] Le LTV ou loan to value est un indicateur utilisé lors de l'octroi du prêt immobilier. Il consiste à faire un ratio entre le montant du crédit et la valeur d'achat du logement, hors droits de mutation et d'acquisition. Plus ce ratio est élevé, plus le risque de l'emprunt est important.
[15] Banque des règlements internationaux, Note récapitulative sur les réformes de Bâle III, page 2.
[16] Pour une analyse sur l’intérêt des approches macroprudentielles : BANDT (Olivier), LEVY-RUEFF (Guy), « Une réglementation macroprudentielle pour rendre durable la création de valeur ? », Revue d'économie financière, 2012/2 (N° 106), p. 243-264. DOI : 10.3917/ecofi.106.0243. URL :
https://www.cairn.info/revue-d-economie-financiere-2012-2-page-243.htm
[17] Il s’agit des fonds propres de première catégorie, composant notamment le « noyau dur » des fonds propres. 
[18] HCSF, « Le coussin de fonds propres contra-cyclique : Procédure et mise en œuvre », notice détaillée de septembre 2015. 
[19] Règlement (UE) No 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013 confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit.
[20] Le dispositif est aujourd’hui codifié aux articles L.511-41-1 A et L. 631-2-1 du code monétaire et financier.
[21] Cela explique que le Haut Conseil de Stabilité Financière a décidé de maintenir le taux de 0% dans sa récente décision du 29 mars 2018 (Décision n°D-HCSF-2018-1 relative au taux du coussin de fonds propres contra-cyclique.
[22] Le ratio de levier Bâle III est égal à la mesure de fonds propres (au numérateur) divisée par la mesure de l’exposition (au dénominateur), et s’exprime en pourcentage.
[23] Basel Committee on Banking Supervision, Global systemically important banks: updated assessment methodology and the higher loss absorbency requirement, July 2013,
www.bis.org/publ/bcbs255.pdf.
[24] Pour les modalités d’identification des G-SIB, V. Bank for International Settlements, The G-SIB assessment methodology - score calculation, 6 novembre 2014.
[25]ACPR, L’impact de l’identification des GSIBs sur leur business model, débats économiques et financiers n°33, 15 mars 2018.

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