L'OBLIGATION DE VIGILANCE
DANS LA LUTTE CONTRE LE FINANCEMENT DU TERRORISME
Christelle Phonebanhdith
Le 14 mars 2017
Résumé
Le terrorisme a besoin de financement pour ses combattants et les
actions qu’il mène. Face à la recrudescence des actions terroristes, les moyens
de financement se sont diversifiés et complexifiés. Pour contrer ces
financements, les Etats se sont munis de dispositifs visant à éradiquer le
terrorisme en amont. Pour ce faire, le législateur a prévu une collaboration
effective entre les différents professionnels énumérés à l’article L.561-2 du
Code Monétaire et Financier avec les autorités publiques. Le banquier, est
logiquement, le premier professionnel visé par cette lutte puisqu’il est en
position de découvrir l’origine des fonds placés en banque par ses clients.
Pour permettre cette collaboration, le législateur a fait peser une obligation
de vigilance et une obligation de déclaration sur le banquier. Au fil des années,
ces dernières ont évoluées et se sont renforcées pour se conformer aux
nouvelles réalités.
Summary
Terrorism requires financial means for its
fighters and the operations it carries out. In order to counter the financing
methods, States have equipped themselves with devices to stamp out terrorism.
For this purpose, the legislator provided an effective collaboration between
the professionals listed in article L.561-2 of the Monetary and Financial Code
and the public authorities. The banker, is logically the first professional
targeted by this struggle against terrorism because he is in position to
discover the source of funds placed in bank by his customers. In order to allow
this collaboration, the legislator has imposed an obligation of duty of care
and an obligation of denunciation. Over the years, these obligations have
evolved and strengthened to conform to the new realities.
Introduction
We shall never surrender, never, never!
Winston Churchill
House of Commons (1940)
La lutte contre le financement du terrorisme s’est imposée comme
une question capitale suite aux attentats du 11 septembre 2001. La riposte
française s’est faite rapidement puisque l’article 421-2-2 du code pénal est
issu de la loi du 15 novembre 2001[1]
et a reçu son caractère permanent par la loi du 18 mars 2003[2].
Aujourd’hui, cette question persiste et demeure car les actions terroristes ne
faiblissent pas et que, parallèlement, leurs subventions échappent parfois à la
vigilance des autorités du fait de leur caractère protéiforme.
Pour contrer ce flux « d’argent sale »[3],
les autorités ont multipliés les mesures destinées à asphyxier les moyens
financiers du terrorisme. Pour ce faire, le législateur a prévu une
collaboration active entre les différents professionnels visés à l’article
L.561-2 du Code Monétaire et Financier (CMF) avec les autorités publiques. On
trouve au premier rang de cette liste, le banquier, puisque ce dernier, semble
le plus à même de découvrir les fonds frauduleux déposés en banque par ces
clients. Ainsi, une obligation de vigilance et une obligation de déclaration
ont été mises à sa charge.
Il faut noter que ces dernières ont considérablement évoluées au
cours de ces dernières années, notamment, suite à la transposition en droit
interne de la directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005 relative à la prévention
de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du
financement du terrorisme (LCB/FT), dite « 3ème directive
anti-blanchiment »[4].
Dans un souci constant de se conformer aux travaux du Groupe d’action
financière (GAFI)[5],
la directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015 relative à la prévention de
l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou du
financement du terrorisme[6]
est venue abroger la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil
et la directive 2006/70/CE de la Commission. La directive, requiert dans son
article 67 que sa transposition soit effective avant le 26 juin 2017[7].
Il s’agira d’étudier dans un premier temps le renforcement des acquis
issus de la « 3ème directive anti-blanchiment » par la
« 4ème directive anti-blanchiment » concernant
l’obligation de vigilance du banquier (I) puis, dans un second temps, d’étudier
l’implication de cette directive en droit interne (II).
I) Le
renforcement des règles relatives à l’obligation de vigilance par la directive
(UE) 2015/849 du 20 mai 2015
La directive
(UE) 2015/849 du 20 mai 2015 se présente comme une continuité de la précédente
directive. Bien des dispositions adoptées en 2005 vont être reprises in
extenso ou seulement reformulées. Il n’en reste pas moins que la nouvelle
directive vient en appui de la 4ème directive en renforçant certains
points tels que le principe de
l’approche par les risques (A) ou en clarifiant certains points tels que la
notion de « bénéficiaire effectif ».
A)
Le
renforcement du principe de l’approche par les risques
Le principe de l’approche par les risques, innovation majeure de la
troisième directive, est conforté par la nouvelle directive[8].
Mais ses modalités vont se voir sensiblement infléchies ce qui va avoir pour
conséquence d’en changer l’esprit. La marge d’appréciation « subjective »
jusqu’alors laissée aux opérateurs économiques va se voir réduite au profit
d’une approche « objective ». En raison de la nature fluctuante des
menaces de blanchiment et de financement du terrorisme, il est important
d’adapter la réponse institutionnelle aux menaces présentes et à venir[9].
Il est donc demandé à la Commission européenne, aux Autorités européennes de
surveillance (AES) et aux Etats de mettre en place un système normatif plus
contraignant afin de pouvoir évaluer le risque de blanchiment tant sur le plan
européen que sur le plan national et encadrer de manière plus précise les
mesures de vigilances mises en place par le professionnel[10].
Il revient à la Commission européenne de faire une évaluation des
risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme pesant sur
le marché intérieur par le biais d’un
rapport consacré à l’identification, à l’analyse et à l’évaluation des risques.
Ce rapport sera mis à la disposition des Etats membres et aux entités
assujetties pour les aider à identifier, à comprendre et à gérer les risques
liés au blanchiment. Au niveau communautaire, les autorités européennes de
surveillance (Autorité bancaire européenne, Autorité européenne des assurances
et des pensions professionnelles et l’Autorité européenne des marchés
financiers) seront chargées d’émettre un avis conjoint sur les risques pesant
sur le secteur financier de l’Union européenne. Cet avis sera également mis à
la disposition des Etats. Il leur appartient également de publier avant le 26 juin
2017 des orientations à l’intention des autorités compétentes et des
établissements de crédit et des établissements financiers sur les facteurs de
risques liés au secteur bancaire et financier.
B)
Clarification
de l’appellation du « bénéficiaire effectif »
L’une des grandes innovations de la troisième directive avait été
la notion de bénéficiaire effectif, dont l’identification s’apparentait à celle
du client. Si la définition du bénéficiaire effectif est restée la même, à
savoir « la ou les personnes physiques qui, en dernier ressort, possèdent ou
contrôlent le client et/ou la ou les personnes physiques pour lesquelles une
transaction est exécutée, ou une activité réalisée »[11],
les critères d’identification dudit bénéficiaire diffèrent[12].
Le premier critère est un critère
quantitatif de la détention du capital social, la maîtrise de 25% des actions
ou des parts d’une société non côté sur un marché règlementé par une personne
physique emporte l’appellation de bénéficiaire effectif. Le deuxième critère
vise « la ou les personnes physiques qui occupent la position de dirigeant
principal »[13].
De plus, la directive de 2015 a étendu le champ de l’appellation
aux fiducies, aux trusts et assimilés. Elle a donc vocation à englober, le
constituant, le ou les fiduciaires, le ou les bénéficiaires ou toute personne
physique exerçant un contrôle. Cette question de l’identification du
bénéficiaire effectif et de la vérification de son identité constitue la
première mesure de vigilance[14]
imposée aux banquiers après celles de leurs clients. Cette question a toute son
importance concernant les sociétés off shore et les trusts puisqu’ils
constituent de véritables zones d’ombre dans la lutte contre le blanchiment[15].
Pour mettre un terme à leur complète opacité, la quatrième directive met à la
charge des sociétés et entités juridiques (trusts, fiducies et assimilés)
installées sur le territoire européen un certains nombres d’obligations. Ces
dernières devront détenir « des informations adéquates, exactes et
actuelles » qui devront être rendus accessibles à tout moment au
profit des autorités compétentes ou des entités assujetties. Elles devront
également publier leurs statuts et communiquer lesdites informations au moment
même de l’entrée en relation d’affaires et pour une transaction occasionnelle
d’un montant supérieur aux seuils prévus à l’article 11 de la directive. Toutes
ces informations seront tenues dans un registre central national et dont
l’accès est ouvert aux seules autorités compétentes en matière de lutte contre
le blanchiment et le financement du terrorisme et des cellules de renseignement
financier[16].
Bien qu’étant une continuité de la troisième directive, la
quatrième directive introduit des dispositifs nouveaux en droit interne.
II)
L’implication
de la « 4ème directive anti-blanchiment » en droit interne
La directive du
20 mai 2015 introduit un contrôle interne à la charge des établissements de
crédit (A) et fait perdurer la modulation du devoir de vigilance[17]
en fonction du degré de risque (B).
A)
Le
contrôle interne effectué par les établissements bancaires
L’ordonnance du 1er décembre 2016[18]
venant transposer en droit interne la quatrième directive du 20 mai 2015 insère
un nouvel article L.561-4-1 CMF. Ce dernier, impose aux professionnels dont le
banquier, la mise en place de dispositifs d’identification et d’évaluation des
risques.
Le renforcement
du principe de l’approche par les risques impose aux établissements de mettre
en place en leur sein un contrôle interne placé sous la surveillance de
l’Autorité de Contrôle Prudentiel (ACPR)[19].
Un contrôle interne spécial est donc prévu pour s’assurer de la conformité du
comportement des agents aux normes légales et règlementaires relatives à la
lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Les entreprises
visées à l’article L.561-2 du CMF et
notamment les établissements de crédit et les établissements de paiement sont
tenus de mettre en place des systèmes d’évaluation et de gestion des risques
relatif au blanchiment et à la lutte contre le financement des actes
terroristes[20].
La législation laisse en la matière une large marge de manœuvre à ces
établissements de sorte que ces derniers vont jouer un rôle de police
concernant des infractions n’ayant pas d’incidence directe sur leurs intérêts.
Les modalités de ce contrôle spécial sont déterminées à l’article R561-38 du
CMF. Les professionnels du secteur bancaire devront prendre en considération
trois variables pour l’évaluation des risques, à savoir, l’objet de la
relation, le niveau des actifs déposés et le volume des opérations effectuées,
la régularité ou la durée de la relation d’affaires. En outre, ces entreprises
vont devoir également s’assurer que leurs succursales étrangère mettent en
œuvre des dispositions au moins équivalentes à celles imposées par la
législation française. Le contrôle est placé sous le joug de l’ACPR, qui
pourra, en cas de manquement exercer sa compétence disciplinaire[21].
B)
Un
devoir de vigilance à géométrie variable
Les
professionnels visés à l’article L. 561-2 CMF sont tenus d’exercer une
vigilance à l’égard de la clientèle. En pratique, avant même d’entrer en
relations d’affaires ou de procéder à une transaction, ils sont tenus de
contrôler l’identité de leurs clients, même occasionnels, et le cas échéant ils
doivent se renseigner sur l’identité des tiers pour lesquels ils agissent[22].
Il peut apparaître que la mise en œuvre de la législation sur le blanchiment et
le financement du terrorisme soit parfois délicate. Des difficultés ont été
rencontrées pour des opérations importantes, tel que l’encaissement des
chèques, qui ne font pas l’objet de contrôles approfondis[23].
Le législateur a pris soin de prendre en considération cette réalité en
modulant l’intensité des mesures en fonction du degré de risque[24].
Lorsqu’une obligation de vigilance de type standard est appliquée le banquier
devra vérifier tout au long de la relation d’affaires la cohérence des transactions
effectués et le profil du client. De plus, des mesures de vigilance devront
être mises en œuvre lorsque des transactions occasionnelles sont d’un montant
égal ou supérieur 15 000 € ou lorsqu’il s’agit de fonds, au sens de
l’article 3 du règlement (UE) n°2015/847 pour lesquels le seuil dépasse 1000 €[25].
Lorsque le risque paraît faible, les professionnels peuvent diminuer
l’intensité des mesures et sont mêmes exemptés des obligations légales lorsque
le risque n’existe pas[26].
En revanche, lorsque le risque de financement du terrorisme est élevé
(opérations complexes et inhabituellement élevées et plus largement toutes
celles qui sont inhabituelles et dépourvues d’objet économique ou licite
apparent), des mesures de vigilance renforcées vont pouvoir être adoptées, cela
a été confirmé par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 10
mars 2016[27].
[1]
Loi n°2001-1062 du 15 novembre 2001
[2]
Loi n°2003-239 du 18 mars 2003
[3]
Hervé Causse, Droit bancaire et financier, mare&martin, 2015, p.315
[4]
Directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005 relative à la prévention de
l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du
financement du terrorisme
[5]
Publication par le GAFI, le 16 février 2012, de ses quarante recommandations
révisées (GAFI/OCDE, Normes internationales sur la lutte contre le blanchiment
de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération)
[6]
Directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015 relative à la prévention de
l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux ou du
financement du terrorisme
[7]
Article 67 de la directive du 20 mai 2015
[8]
Robert H., Présentation de la troisième directive anti-blanchiment, Bulletin
d’actualités du Lamy droit pénal des affaires 2006, F, no 50, p. 2
[9]
Directive (UE) 2015/849, 20 mai 2015, considérant 28
[10]
Poulle J.-B. et Aubert S., Lutte contre le blanchiment : l’esprit de l’approche
par les risques est-il menacé ?, RD bancaire et fin. 2014, no 1, p.
31
[11]
Chapitre I, section 1, article 3, § 6 de la directive du 20 mai 2015
[12]
Economie des obligations de vigilance, Lamy droit pénal des affaires, 2016
[13] Article
3, paragraphe 6, point a, ii de la directive du 20 mai 2015
[14]
C. Gavalda et J. Stoufflet, Droit bancaire, LexisNexis, 9ème
édition, p.197
[15]
Hervé Robert, Quatrième directive anti-blanchiment : ni excès d’honneur,
ni indignité, Lamy Droit des Affaires, n°108, 1er octobre 2015
[16]
Hervé Robert, Présentation de la directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015 dite
quatrième directive anti-blanchiment, Lamy Droit des Affaires, n°108, 1er
octobre 2015
[17] Hervé
Causse, Droit bancaire et financier, mare&martin, 2015, p.318
[18]
Ordonnance n°2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif
français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme
[19]
Article L.561-36 CMF
[20]
Article L561-32 CMF
[21]
ACPR sanct., 8 décembre 2016, n°2016-08, Axa France Vie
ACPR sanct., 15 décembre 2016, n°2016-03,
Société d’exploitation Merson
ACPR sanct., 28 décembre 2016, n°2016-01,
Saxo Banque France
[22]
Articles L.561-2 à L.561-4 et R.561-7 à R.561-10 du CMF
[23]
Jean Stoufflet, Recouvrement des chèques. Devoirs du banquier correspondant,
Revue de droit bancaire et financier, mars-avril 2000, p.19
[24]
Cf les nouveaux articles introduits par l’ordonnance n°2016-1635 du 1er
décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment
et le financement du terrorisme : L.561-9 à L.561-10-2
[25]
Article 3 du règlement (UE) n°2015/847 du Parlement européen et du Conseil du
20 mai 2015
[26]
Article L.561-4 alinéa 1 du CMF
[27]
CJUE, 10 mars 2016, n° C-235/14
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