La plateforme de droit bancaire et financier des étudiants en Master 2 - Droit européen et international économique et de Droit des Affaires Approfondi - de l'Université Paris XIII

10 septembre 2018

Le financement privé des partis politiques, Mounira MATOUK 
« L'argent, cette puissance à nulle autre seconde, l'argent seul est l'arbitre et le maître du monde »[1]. Les moyens financiers sont indispensables à la conquête du pouvoir politique. Les élections présidentielles de  2017 l’ont montré : il est difficile pour les petites formations politiques de mener campagne dans les mêmes conditions que les grands partis politiques.Les partis politiques sont un élément fondamental du fonctionnement des démocraties représentatives, qui se forment et exercent leur activité librement[2]. Pendant longtemps, cette liberté les a tenu à l’abri de toute obligation d’information et de transparence financière, notamment sur la question de leur financement. La loi du 15 septembre 2017[3]pour la confiance dans la vie politique constitue la grande réforme de « moralisation »et se situe dans la parfaite lignée des réformes précédentes visant à combler les failles de la législation existante. 
L’Etat permet le fonctionnement de la démocratie, notamment par le biais des remboursements des dépenses de campagnes. Ce remboursement n’intervenant qu’à la fin des élections, l’enjeu des partis politiques est de trouver des sources de financements leurs permettant de subvenir à ces dépenses.  
Les partis politiques et les candidats disposent de deux sources de financements : le financement public, par lequel « l’Etat contribue aux finances des organisations politiques de deux manières biens distinctes : par un mécanisme de versement annuel de crédits publics et par le concours en nature permettant aux partis de s’exprimer gratuitement sur des chaines de radios et de télévision »[4]et le financement privé des partis politiques. Il convient de rappeler à titre liminaire que la perception des fonds par un parti politique ne se fait pas directement par lui, mais par un intermédiaire financier[5], qui est soit une personne physique, le mandataire financier, soit une personne morale, une association de financement. La commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), autorité administrative créée en 1990[6], veille aux respects des règles concernant ces sources de financement. 
Il s’agit d’envisager quelles sources de financement privé permettent aux partis politiques français d’obtenir des recettes. L’enjeu de cette question se trouve dans la volonté de prévenir les éventuels conflits d’intérêts qui pourraient survenir entre le monde des affaires et celui de la politique, notamment depuis les différentes affaires qui ont touchés le financement de la vie politique, avec « le financement libyen » de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, « Bygmalion » qui a fait suite aux rejets des comptes de campagnes de Nicolas Sarkozy en 2012 (suivi « Sarkothon » pour sauver le parti) ou encore le financement russe de la campagne présidentielle de Marine Le Pen. 
Les partis politiques se financent traditionnellement par les fonds provenant de personnes physiques et de leurs micro-partis (I) mais également par le biais d’emprunt ou d’utilisation mercantile de leur image (II).
I.              Les sources de financement traditionnelles des partis politiques
Les fonds des partis politiques proviennent des dons des sympathisants et des cotisations de leurs adhérents (A)  et de personnes morales, sous le contrôle de règles strictes (B). 
A.   Les fonds provenant de personnes physiques
Les partis politiques puisent leur financement issu des personnes physiques auprès de différentes sources. 
Tout d’abord, les partis politiques tirent leur financement par le biais des dons des sympathisants et des cotisations des adhérents. L’article 11-4 de la loi du 11 mars 1988[7]dispose que ces dons et cotisations doivent émaner de personnes physiques dûment identifiées et doivent être réceptionnés uniquement par l’intermédiaire de leur mandataire, association de financement agréée ou mandataire financier. En effet, le parti politique ne peut pas percevoir directement ces fonds. Ces dons et cotisations sont plafonnés à 7500€ par an et par donateur. Ces sommes ne sont pas versées sans contrepartie puisque le donateur bénéficie d’un avantage fiscal[8]. Le montant des cotisations annuelles versées par les adhérents dans un parti varie en fonction du public ciblé[9].
Ensuite, les partis politiques sont financés par le biais des cotisations des élus puisqu’il est généralement prévu par leurs statuts que les adhérents titulaires de mandats électifs, nationaux ou locaux doivent s’acquitter d’un montant spécifiques « élus ». Ce versement issu des élus n’est pas pris en compte dans le calcul plafond de 7500€ précité car « une participation plus importante de [la part des élus] au financement d’un parti politique [est] apparue justifié »[10].
Une autre source, atypique, émanant de personnes physiques permet de financer un parti politique, et bien que cela puisse paraître particulier, elle n’est pas interdite par la loi. Il s’agit des libéralités post-mortem, comprenant les legs et les produits de contrats d’assurance vie. A titre d’exemple, le Front national a perçu, en 2007, des libéralités pour un montant de 212 502€[11]et a hérité, en 2010, de 1 500€ au titre d’une succession[12]. Contrairement aux dons, aucun plafond n’est prévu et tout parti politique peut être désigné comme légataire. Le Conseil d’Etat, dans un avis rendu le 25 janvier 2005, s’est prononcé sur la désignation d’une association d’un parti politique en tant que bénéficiaire d’une assurance vie et a estimé que rien ne s’y oppose. Par exemple, le parti politique Lutte ouvrière a perçu 150 274€ en tant que bénéficiaire d’une assurance vie[13].  
B.   Les contributions des personnes morales et l’enjeu des micro-partis
Le principe, posé à l’article 11-4 de la loi du 11 mars 1988, est l’interdiction des dons des personnes morales envers un parti politique. Par exemple, un parlementaire ne peut pas utiliser son indemnité représentative de frais de mandat pour régler sa cotisation d’élu à son parti puisque l’indemnité étant versée par l’Etat, il s’agit d’un don d’une personne morale. 
Aucun parti politique français ne peut recevoir, en vertu de l’article 11-4 précité, directement ou indirectement, des contributions ou autres aides d’un Etat étrangers ou d’une personne morale de droit étranger. Ce principe a été rappelé par la jurisprudence du Conseil d’Etat[14]concernant la demande d’agrément de l’association de financement du Parti nationaliste basque, qui avait été refusé en raison de son financement par un parti politique étranger, le Parti nationaliste basque espagnol. La loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique limite le financement de la vie politique par « l’étranger ». Elle apporte une modification à l’article 11-4 précité puisqu’elle ajoute une exception à cette interdiction « à l'exception des établissements de crédit ou sociétés de financement mentionnés au troisième alinéa » ; en d’autres termes, cette interdiction ne concerne pas les établissements européens. Cette limitation concerne également les personnes physiques puisqu’elles ne peuvent verser un don à un candidat que si elles sont de nationalité française ou qu’elles résident en France « cette dernière disposition résulte d'une insertion lors de l'examen de la loi au Sénat et se justifie, outre la volonté de préserver la souveraineté nationale, par l'impossibilité de vérifier l'origine des fonds reçus »[15].
L’interdiction des dons provenant des personnes morales ne concerne pas les partis politiques. En effet, l’article 11-4 de la loi du 11 mars 1988 prévoit que seuls les partis ou groupements politiques peuvent contribuer au financement des partis politiques, par le biais de subventions ou de dévolutions. Les subventions versées entre les partis sont monnaies courantes. Elles peuvent traduire de la coopération politique et électorale ou elles peuvent avoir un caractère transitoire lors de la transformation ou de la création d’un parti politique. Cependant, les subventions qui attirent l’attention sont celles émanant des micro-partis. 
Un micro-parti est une association dont l’objet est de financer un parti politique. Jusqu’en 2013, il était suspecté que les micro-partis n’existaient que dans le but de contourner la législation concernant la limite de dons par personne. En effet, avant 2013, le plafond annuel de 7 500€ de dons qu’une personne physique pouvait effectuer s’entendait par parti politique et naturellement, les partis politiques en usaient et en abusaient. Ce plafond annuel a été modifié par la loi du 11 octobre 2013[16]et s’entend désormais par an et non plus par parti politique. Les micro-partis ne peuvent plus être utilisés pour contourner la limite légale de dons, mais ils ne demeurent pas moins inutiles car les ils continuent de représenter un enjeu manifeste sur le plan financier. Ils permettent de recevoir des contributions des particuliers en dehors des périodes électorales. Une association de financement de campagne électorale n’est autorisée à recevoir des dons que pendant une période donnée, en dehors de cette période, tout don est impossible puisque cette association est dissoute. De ce fait, le micro-parti permet de contourner cette contrainte puisqu’il peut collecter des dons en continu. Après la période électorale, les candidats qui réalisent des bénéfices doivent reverser ces excédants soit à un parti politique, soit à un établissement ou œuvre reconnu d’utilité publique[17]. Le fait pour un parti politique de contrôler un micro-parti permet de conserver le surplus réalisé lors des campagnes électorales et de pouvoir les réutiliser au moment opportun, par le biais d’une dévolution, qui est le transfert d’un patrimoine, d’une personne à une autre, et en l’occurrence dans ce propos, d’un parti politique à un micro-parti, « dans ce cas, le parti politique apparaît comme un ”trésor de guerre” »[18]. Pour que ce transfert ait lieu en toute régularité, la dévolution ne doit pas provenir de l’apport personnel du candidat (le mandataire du candidat doit rembourser le candidat de son apport personnel en priorité) et le solde doit être versé à une association de financement et non pas directement au parti. 
Un dernier aspect financier du micro-parti est non négligeable pour le financement de la vie politique : il permet au parlementaire de s’affilier à son parti au lieu de s’affilier à un parti national, afin de pouvoir disposer des subventions versées au titre des parlementaires. 
II.             Vers une modernisation du financement des partis politiques
La modernisation du financement se traduit par l’apport de solutions afin de faciliter l’obtention d’emprunt bancaire par les partis politiques (A), une utilisation mercantile de leur image et de la mise en place de campagne de primaire, dont la participation par les électeurs permet de générer des revenus pour les partis (B). 
A.   L’emprunt bancaire
L’emprunt bancaire est une source de financement opportune, notamment pour financer les grands moments de la vie d’un parti politique telle que la campagne présidentielle. En effet, les partis sont libres à l’emprunt auprès d’établissement de crédits ou après de particuliers. Pour ce dernier, le montant du prêt ne doit pas dépasser 7 500€, afin que si le prêt n’est pas remboursé, il puisse être analysé comme un don fait par une personne physique. 
En effet, la loi introduit des dispositions afin de renforcer l’encadrement des prêts et de faciliter l’accès au crédit. 
Dans un premier temps, la loi rappelle l’interdiction faite aux personnes morales autres que les établissements de crédit européens et les partis politiques de financer la vie politique sous forme de prêts ou de garanties de prêts. Dans un second temps, elle limite les prêts qui peuvent être fournis par les partis politiques eux-mêmes en introduisant un nouvel alinéa à l’article L.52-8 du Code électoral « un candidat ne peut contracter auprès d'un parti ou groupement politique des prêts avec intérêts que si ce dernier a lui-même souscrit des prêts à cette fin et dans la limite des intérêts y afférents». Le but est de limiter le contournement de la législation « sur les dons permettant à un parti de profiter des dons ou donations faits à un autre pour financer sa campagne, sans engagement réel de ce dernier, comme Jean-Marie Le Pen l'a fait pour sa fille lors de la dernière élection présidentielle »[19].
Cette loi prévoit des mesures destinées à faciliter l’accès au crédit. Elle instaure la création d’un « médiateur du crédit ». Sur saisine des candidats ou des partis politiques, ce médiateur a une mission de conciliation après des établissements bancaires après rejet d’une demande de prêt ou d’ouverture de compte bancaire. Il est chargé de concourir au financement légal et transparent de la vie politique, en facilitant le dialogue entre, d'une part, les candidats à un mandat électif et les partis et groupements politiques et, d'autre part, les établissements de crédit et les sociétés de financement. Il est nommé pour une durée de six ans non renouvelable, et sa mission devra tendre à favoriser ou susciter toute solution de conciliation propre à remédier dans un délai raisonnable aux difficultés rencontrées dans l’obtention d’un prêt ou l'ouverture et le fonctionnement d’un compte de dépôt.
Cette loi nouvelle prévoit la création, par voie d’ordonnance, d’une « Banque de la démocratie », pour que les candidats et les partis, seulement pour les élections présidentielles, législatives, sénatoriales et européennes, puissent obtenir des prêts, leur permettant de mener leurs campagnes, après intervention du médiateur au crédit. In fine, cette disposition doit garantir un accès au financement en cas de défaillance des banques privées. La forme de cette banque est encore inconnue mais doit être précisé prochainement. 
B.   Des sources de recettes opportunes
« Devant la nécessité d’accroître les ressources, la plupart des mouvements politiques se sont livrés à une exploitation mercantile de leur image »[20]. Les partis politiques restent des organismes à but non lucratif et n’hésitent pas à diversifier leurs ressources propres en développant le champ des recettes dites commerciales. Pour cela, ils ont décidés de développer leurs ressources commerciales par la biais de vente de produits dérivés en tout genre au couleur du parti, tels que des tee-shirts, des lunettes, des parapluies, considérés comme une marque, et dont certains noms et logo ont fait l’objet d’un dépôt auprès de l’INPI. Comme toute association, les partis politiques ont la possibilité d’obtenir des recettes tirées de l’utilisation mercantile de leur image, tant que cela ne contrevient pas à leurs statuts. Les recettes tirées de ces ventes permettent de faire face aux dépenses du parti et ne doivent pas avoir pour finalité de faire des bénéfices. 
Depuis les élections présidentielles de 2012, le système des primaires ouvertes constituent une source de ressources non négligeables puisque les électeurs n’hésitent pas à payer les 2€ (pour les primaires organisés par Les Républicains pour les primaires de 2016) nécessaires afin de participer à la montée de leur candidat favori au sein d’un parti. Par exemple, les primaires organisés par le parti Les Républicains ont permis de récolter près de 16 millions d’euros, permettant ainsi de financer la campagne présidentielle du candidat François Fillon. Les primaires semblent bénéfiques aux partis qui en tirent des ressources substantielles pour financer les campagnes électorales puisqu’elles leurs permettent de faire participer les électeurs à l’amortissement des coûts futurs. 
Si légalement rien ne s’oppose à ce que des élections primaires soient organisées, leurs modes de financement répondent à de nouvelles exigences depuis les élections présidentielles de 2017. En effet, le candidat investi par les primaires doit intégrer à son compte de campagne toutes les dépenses effectuées depuis le 1eravril 2016[21]. In facto, chaque parti politique peut définir un plafond de dépenses afin de ne pas grever trop lourdement le financement de la campagne ultérieure. L’enjeu est plus important qu’en 2011, puisque les dépenses n’avaient pas à figurer dans les comptes de campagne. Désormais, la totalité des dépenses de la personne investie se répercute sur le financement de la campagne du candidat à l’élection présidentielle, tout cela une fois de plus afin de répondre à l’objectif de moralisation de la vie politique en rendant les partis plus consciencieux de leurs dépenses.  





[1]Publilius Syrus ; Sentences - Ier s. av. J.-C.
[2]Article 4 de la Constitution française de 1958
[3]LOI n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique (1) 
[4]N. TOLINI, Le financement des partis politiques, 2007, Dalloz, page 59.
[5]Article 13 de la loin° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques 
[6]loi n°90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques

[7]Loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique
[8]CGI, art 200 : sur le plan fiscal, ces versements donnent lieu à un droit à une réduction de 66% dans la double limite de 20% du plafond imposable et de 15 000€ par foyer fiscal
[9]D. BUROSTE, Système pratiques. Financement et transparence de la vie politique, 2015, LGDJ, page 145 : en 2015, certains partis politiques proposaient un cotisation « jeunes et chômeurs » (5€ au Modem, 10€ à l’UDI, 15€ aux Républicains-UMP, 15€ à 30€ au FN)
[10]G. GORCE, Avis de la commission des lois sur le projet de loi de finances pour 2014. Tome XXI : Vie politique, cultuelle et associative, Sénat, 21 nov. 2013, page 27.
[11]CNCCFP, Publication des comptes 2007, JO 17 déc. 2008, Annexe n°293, page 165.
[12]CNCCFP, Publication des comptes 2010, JO 27 déc. 2011, Annexe n°299, page 171.
[13]CNCCFP, Publication des comptes 2012, JO 22 janv. 2014, page 365
[14]CE, 8. Déc. 2000, ERI-PNB, n°212044
[15]R. Rambaud, Confiance dans la vie politique, la révolution attendra, AJDA, 2017, p. 2237
[16]Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique (1) 
[17]Art. L.52-5 et L.52-6 du Code électoral
[18]A. FRANCOIS et E. PHELIPPEAU, Le financement de la vie politique, 2015, Armand Colin, page 89.
[19]R. Rambaud, Confiance dans la vie politique, la révolution attendra, AJDA, 2017, p. 2237
[20]N. TOLINI, Le financement des partis politiques, Dalloz, 2007, page 279.
[21]Loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle 

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