La lutte
contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme à l’aube de la 5ème
directive anti-blanchiment
Lundi
5 mars 2018
Résumé :
La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement
du terrorisme s’intensifie. Face à une constante évolution des moyens de fraude
et de financement, il est nécessaire que les Etats se dotent d’un arsenal
juridique suffisamment répressif et efficace.
La quatrième directive s’inscrit dans la lignée des textes
précédents. Néanmoins, elle s’adapte et tente d’englober au mieux toutes les
hypothèses de fraudes et d’harmoniser tant en Europe qu’à l’International la
règlementation ainsi que les sanctions. En parallèle de cette directive, la
Commission a émis deux propositions de directive venant modifier la quatrième.
Summary :
The war against money
laundering and the financing of terrorism intensifies. In front of the constantly
changing of the means of frauds and financing, it is necessary for the States
to provide themselves with a sufficient and efficient legal arsenal.
The fourth directive
anti laundering follows the former texts. However, it adjusts and tries to
better incorporate all the assumptions of frauds and to standardize, both on en
European and international the laws and the sanctions. Simultaneously, the
Commission released two directives propositions modifying the scope of the
fourth.
INTRODUCTION
Les Etats ne peuvent plus rester confinés dans leurs
espaces judiciaires nationaux face au « développement d’une criminalité
transnationale franchissant des frontières de plus en plus poreuses, d’une
criminalité se jouant des nouveaux instruments de transmission
d’information et d’un terrorisme dévastateur[1] ».
Afin de lutter contre cette porosité à un niveau régional
et adapter la réponse institutionnelle[2],
l’Europe tente de faire régresser le blanchiment d’argent ainsi que le
financement du terrorisme. A ce titre, de nombreux travaux européens ont vu le
jour jusqu’à la quatrième directive du 20 mai 2015 de la Commission européenne[3]
ainsi que la proposition de cinquième directive du 21 décembre 2016[4]
.
Cette quatrième directive permet de pallier les lacunes de
la troisième directive[5],
qui n’assurait pas une efficacité homogène dans l’ensemble de l’Europe des
mesures anti-blanchiment. En effet, la troisième directive laissait trop de
latitude aux Etats membres. La quatrième directive se voulait donc plus
pédagogue, efficace et plus exhaustive. En France, la quatrième directive a été
transposée par ordonnance le 1er décembre 2016[6]
(ci-après ordonnance).
A la suite des divers attentats ayant frappé l’Europe en
2015 et qui ont fait apparaître une menace terroriste qui s’intensifie et qui
se mute, la Commission, avant même la transposition de la quatrième directive
en droit interne, a publié le 5 juillet 2016, une proposition de directive.
Cette première proposition, qui précède celle du 21 décembre 2016 avait pour
but de mettre en lumière l’utilisation frauduleuse du système financier en
matière de blanchiment et de lutte contre le terrorisme.
Afin de riposter au mieux, les propositions de directive se
veulent plus strictes et plus modernes. Pour cela, elles essayent notamment de mieux comprendre les risques,
ainsi que les faiblesses des outils de surveillance des moyens financiers
utilisés par les blanchisseurs et les terroristes. C’est dans ce cadre que
l’ACPR[7],
ainsi que TRACFIN[8],
ont modifié, le 15 février dernier leurs lignes directrices sur les obligations
de déclaration et d’information à TRACFIN. Ces obligations ont pour objectif de
lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
L’infraction de blanchiment d’argent ne dispose pas d’une
définition unique en Europe. En droit français, l’article 324-1 du code pénal
définit le blanchiment comme « le
fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des
biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à
celui-ci un profit direct ou indirect. » mais également comme « le fait d'apporter un concours à une
opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou
indirect d'un crime ou d'un délit. ».
Le financement du terrorisme quant à lui est défini à
l’article 421-2-2 du code pénal comme « le
fait de financer une entreprise terroriste en fournissant, en réunissant ou en
gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou en donnant des
conseils à cette fin, dans l'intention de voir ces fonds, valeurs ou biens
utilisés ou en sachant qu'ils sont destinés à être utilisés, en tout ou partie,
en vue de commettre l'un quelconque des actes de terrorisme prévus au présent
chapitre, indépendamment de la survenance éventuelle d'un tel acte. ».
Ces infractions touchent particulièrement les secteurs
bancaires et financiers car les risques d’évasion fiscale, de corruption ou
encore de fraude à l’assurance sont élevés. C’est la raison pour laquelle certaines
professions du secteur bancaire ou assurantiel sont soumises à ce devoir de
déclaration et d’information à TRACFIN, qui est une cellule de renseignement
financier comme il en existe dans chaque Etat membre.
Ainsi, il est utile de se demander dans quelle mesure
l’Europe tient-elle compte des particularités liées aux secteurs multiples
touchés par ces infractions ainsi que le caractère transfrontière de ces
dernières.
La réponse à cette question peut s’articuler en deux axes.
Dans un premier temps, il s’agira de se demander comment la directive et la
proposition de directive règlent la question de la circulation des informations
(I) avant d’analyser les dispositions permettant de prendre en compte le
caractère international du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme
(II).
I/ Un
dispositif préventif de lutte renforcé par une meilleure circulation de l’information
Afin de permettre l’efficacité des dispositions de l’ordonnance,
il faut identifier les organismes qui seront
soumis à des obligations spécifiques. A ce titre, les entités
assujetties sont au cœur de la lutte contre le blanchiment d’argent et le
financement du terrorisme (A). Par ailleurs, les informations que ces entités
détiennent étant essentielles, elles doivent pouvoir être utilisées en temps
utile. La quatrième directive tente donc de faciliter l’accès à ces
informations (B)
A.
Les professions
assujetties au cœur de la lutte contre le blanchiment d’argent et le
financement du terrorisme
Initialement circonscrit au secteur bancaire, le dispositif
de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme a été
étendu progressivement à plusieurs professions.
Les professions assujetties sont toutes les personnes physiques
ou morales chargées de définir de mettre
en application les différentes dispositions des directives de lutte contre le
blanchiment, de mettre en œuvre les procédures et de transmettre des
informations aux organismes concernés.
L’article L.561-2 du code monétaire et financier établit
une liste des professions soumises à des obligations spécifiques : banques
et établissements de crédit ; établissements de paiement ; changeurs
manuels ou encore établissement de monnaie électronique.
Ces professions sont au cœur de la lutte contre le
blanchiment d’argent et le financement du terrorisme car elles assurent l’efficacité
de la directive. Ces professionnels sont des entités par lesquelles transitent
des fonds. Elles sont donc confrontées à des opérations de blanchiment d’argent
et de financement du terrorisme.
Il est donc primordial de définir les personnes assujetties
à des obligations spécifiques. C’est dans cette optique que quatrième directive
élargit le nombre de professions assujetties. Désormais, les prestataires de services
de jeux d’argent et de hasard sont également visés par l’article 3.
L’intégration de ces derniers était essentielle car le Centre d’analyse du
terrorisme, dans son dernier rapport[9],
précisait que les terroristes se servaient également de ces services pour
financer le terrorisme.
De plus, le dispositif de lutte est intensifié dans le
secteur immobilier, trop souvent considéré comme un « trop faible
pourvoyeur d’informations »[10].
Dorénavant, l’article L.561-2,8° du code monétaire et financier, modifié par
l’ordonnance, étend le champ des activités soumises à des obligations
particulières aux activités d'intermédiation en location immobilière.
Par ailleurs, le projet de cinquième directive de la
Commission prend en compte les évolutions techniques et propose de faire des
plate-formes de change de monnaie virtuelle des entités assujetties [11].
Cet ajout était nécessité à l’heure de la blockchain.
En effet, la blockchain, dont le
principe est le pseudonymat, favorise le manque de traçabilité des fonds et augmente
les risques de financement du terrorisme et de blanchiment.
B.
Un
accès à l’information facilité
Lors du sommet de 1989, le G7 avait recommandé la création
de cellules de renseignement financier (CRF) chargées (de contribuer à la lutte
contre le blanchiment d’argent. La France a donc choisi de créer TRACFIN. Afin
de lutter contre le blanchiment, les organismes financiers, tels que les
établissements de crédit, sont soumis à une obligation de déclaration à TRACFIN
des sommes ou opérations leur paraissent illicites[12].
L’accès à l’information est donc crucial pour que TRACFIN puisse mener à bien ses
missions.
Bien que l’un des objectifs principaux de la quatrième
directive était justement de renforcer l’accès à l’information[13],
l’accès à ces dernières était toutefois entravé car il était exigé que les
professionnels assujettis effectuent au préalable une déclaration de soupçon[14].
C’est pourquoi, la Commission, dans sa proposition de directive de 5 juillet
2016, a indiqué vouloir modifier cet aspect en permettant aux CRF d’être en « mesure d’obtenir des
informations auprès des entités assujetties », mais
surtout, et c’est là que se situe la nouveauté « de les utiliser »[15] .
Dans ce sens, la Commission propose d’intégrer également un article 32 bis qui
imposerait aux Etats membres de veiller à ce que les mécanismes de
renseignements soient directement accessibles aux CRF mais également aux
autorités compétentes. Cela permettrait à ces derniers de se passer, dans
certaines circonstances, des formalités prévues par l’article 33 de la
directive qui dispose que pour que chaque CRF obtienne des informations auprès
d’entités assujetties, il faudrait établir une déclaration de transaction
suspecte au préalable.
Les pouvoirs d’investigation de TRACFIN en droit français
sont donc accrus et son droit de communication étendu[16].
Par ailleurs, jusqu’à présent, la quatrième directive ne prévoyait
aucune obligation pour les Etats membres de mettre en place des systèmes de
registres bancaires ou des systèmes électroniques d’extraction de données[17].
Or, ces données permettraient de mener une action préventive transfrontière
efficace. C’est pourquoi, la Commission propose la mise en place de mécanismes
centralisés automatisés qui permettraient d’identifier rapidement les
titulaires de comptes bancaires et de comptes de paiement[18]
et ainsi savoir avec précision quels comptes appartiennent à une même personne,
ce qui permettrait de détecter plu facilement les opérations suspectes
II/ Le
caractère international du blanchiment et du financement du terrorisme
Le blanchiment d’argent ainsi que le financement du
terrorisme étant caractérisés par une délinquance
transfrontière, une harmonisation maximale à un niveau régional est nécessaire
(A). Par ailleurs, il est fondamental de favoriser l’alignement international
(B)
A.
Une
harmonisation maximale nécessaire
Si la troisième directive[19]
était innovante en matière de détection et d’approche de la détection du
blanchiment car elle adoptait une approche graduée en fonction des risques, elle
avait néanmoins de nombreuses faiblesses. Une de ses principales faiblesses
était la logique adoptée lors de la rédaction de cette directive. Le Parlement
et le Conseil ont choisi de maintenir une harmonisation minimale.
Ce choix n’a pas été sans conséquence puisqu’il a eu pour
effet de créer une distorsion de concurrence et d’amener les blanchisseurs à
choisir les droits européens les plus favorables.
La Commission, encadre, dans la
quatrième directive[20]
beaucoup mieux les sanctions encourues. En effet, elle ne se contente plus de
demander aux Etats membres d’adopter des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives »[21], mais définit, en les
hiérarchisant, les sanctions que les législations doivent adopter et associer
aux manquements constatés : déclaration publique, suspension, retrait de
l’agrément, interdiction temporaire d’exercer pour les dirigeants des entités
assujetties ou encre des sanctions pécuniaires. Par exemple, elle fixe le
plafond de l’amende administrative à un million d’euros si le montant de l’avantage
tiré de l’infraction est déterminable[22].
Il est, par ailleurs, prévu par l’article 60 de la quatrième directive que les
Etats membres publient sur le site internet des autorités compétentes la mesure
administrative avec la mention du type d’infraction commise ainsi que la
personne responsable.
Le projet de cinquième directive dans sa
dénomination même (proposition visant à « lutter
contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal »), cherche
à accentuer en plus de l’harmonisation, le volet pénal de la lutte. En effet,
dans ses considérants 5 et suivants, elle insiste sur la nécessité
d’uniformiser la « définition des activités criminelles constitutives
d’infractions principales [ …] dans tous les Etats membres ».
En conclusion, toutes ces indications témoignent de
l’effort de la Commission d’harmoniser autant que possible les sanctions afin
d’assurer l’effectivité des règles communautaires instaurées en matière de
blanchiment.
B.
Un
alignement international favorisé
Comme l’indiquait la Commission dans sa proposition de
cinquième directive[23]
venant réformer la quatrième directive, « Des mesures adoptées au seul niveau
national ou même de l'Union, sans tenir compte de la coordination et de la
coopération internationale, auraient […] des effets très limités. ». Il
était donc crucial d’envisager au moins une coordination avec certaines
enceintes internationales, telles que le Groupe d’action financière (GAFI), qui
est en charge de l’élaboration de normes internationales en matière de
blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.
La quatrième directive et le règlement venant la compléter[24]
tenaient déjà compte de l’aspect international de la lutte contre le
blanchiment et le financement du terrorisme. En effet, la directive [25]
préconisait aux Etats membres de veiller à ce que les entités assujetties, dans
leur évaluation des risques de
blanchiment, prennent en compte un certains nombre de facteurs de risques, dont
certains pays ou zones géographiques.
Ces zones à risques s’alignent sur la liste
établie par le GAFI et dans ce règlement, la Commission met bien en lumière
l’importance de cet alignement car il contribuerait à maintenir « Afin de garantir l'intégrité du système
financier mondial, il est de la plus haute importance que la liste des pays
tiers établie au niveau de l'Union soit fortement alignée, le cas échéant, sur
les listes convenues au niveau international. En promouvant une approche
globale au niveau international, l'Union contribue à renforcer l'intégrité financière dans le monde
entier et à mieux protéger le système financier international contre les pays à
haut risque»[26]. Toutefois,
cet alignement peut paraître compliqué, notamment, face aux nouveaux défis du
numérique et les législations nationales embryonnaires dans le domaine.
[2] Présentation de la
directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015 dite quatrième directive
anti-blanchiment
[3] Dir.
Cons. 91/308/CEE, 10 juin 1991, JOCE 28 juin, no L 166, directive modificative
2001/97/CE du 4 décembre 2001, Dir. PE et Cons. 2005/60/CE, 26 oct. 2005
[4] Proposition de
directive du Parlement Européen et du Conseil, 21 Décembre 2016, COM(2016) 826
final
[5] Dir. 2005/60/CE du
Parlement européen et du Conseil
[6] Ordonnance n° 2016-1635
du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le
blanchiment et le financement du terrorism
[7] Acronyme d’autorité de
contrôle prudentiel et de résolution
[8] Acronyme de traitement
du renseignement et actions contre les circuits financiers clandestins
[10] Y. Pelosi et alii,
Transposition de la 4e directive et extension des obligations de lutte
anti-blanchiment dans le secteur immobilier, in AJDI, 2017, p. 167
[11] Proposition de
directive du parlement européen et du conseil modifiant la directive (UE)
2015/849, p.14
[12] F.
Perrotin, Blanchiment : fraude fiscale et déclaration de soupçon, in Les
petites affiches, Janv.2018, p.4
[14] Art. L.561-15 du code
monétaire et financier
[15]
Proposition de directive de directive du parlement européen et du conseil
modifiant la directive (UE) 2015/849, p.39
[16] D. Legeais, Commentaire
de l'ordonnance en date du 1er décembre 2016 relative à la lutte contre le
blanchiment et le financement du terrorisme, in RTD com., 2017, p. 146
[20] Chap
VI, sect.4 de la Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du
20 mai 2015
[21] Art.37
directive 2005/60/CE du parlement européen et du conseil du 26 octobre 2005
relative
à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment
de capitaux et du financement du terrorisme
[23]
Proposition de dir. visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen
du droit pénal, 21 déc. 2016, doc. 2016/0414 (COD
[24]
Règlement délégué (UE) 2016/1675 de la Commission du 14 juillet 2016 complétant
la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil par le
recensement des pays tiers à haut risque présentant des carences stratégiques
[26] Considérant 6 du
règlement délégué (UE) 2016/1675 de la Commission du 14 juillet 2016 complétant
la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil par le
recensement des pays tiers à haut risque présentant des carences stratégique
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