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4 juin 2018

La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme à l’aube de la 5ème directive anti-blanchiment


La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme à l’aube de la 5ème directive anti-blanchiment
Lundi 5 mars 2018



Résumé :
La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme s’intensifie. Face à une constante évolution des moyens de fraude et de financement, il est nécessaire que les Etats se dotent d’un arsenal juridique suffisamment répressif et efficace.
La quatrième directive s’inscrit dans la lignée des textes précédents. Néanmoins, elle s’adapte et tente d’englober au mieux toutes les hypothèses de fraudes et d’harmoniser tant en Europe qu’à l’International la règlementation ainsi que les sanctions. En parallèle de cette directive, la Commission a émis deux propositions de directive venant modifier la quatrième.

Summary :
The war against money laundering and the financing of terrorism intensifies. In front of the constantly changing of the means of frauds and financing, it is necessary for the States to provide themselves with a sufficient and efficient legal arsenal.
The fourth directive anti laundering follows the former texts. However, it adjusts and tries to better incorporate all the assumptions of frauds and to standardize, both on en European and international the laws and the sanctions. Simultaneously, the Commission released two directives propositions modifying the scope of the fourth. 


INTRODUCTION

Les Etats ne peuvent plus rester confinés dans leurs espaces judiciaires nationaux face au « développement d’une criminalité transnationale franchissant des frontières de plus en plus poreuses, d’une criminalité se jouant des nouveaux instruments de transmission d’information et d’un terrorisme dévastateur[1] ».
Afin de lutter contre cette porosité à un niveau régional et adapter la réponse institutionnelle[2], l’Europe tente de faire régresser le blanchiment d’argent ainsi que le financement du terrorisme. A ce titre, de nombreux travaux européens ont vu le jour jusqu’à la quatrième directive du 20 mai 2015 de la Commission européenne[3] ainsi que la proposition de cinquième directive du 21 décembre 2016[4] .
Cette quatrième directive permet de pallier les lacunes de la troisième directive[5], qui n’assurait pas une efficacité homogène dans l’ensemble de l’Europe des mesures anti-blanchiment. En effet, la troisième directive laissait trop de latitude aux Etats membres. La quatrième directive se voulait donc plus pédagogue, efficace et plus exhaustive. En France, la quatrième directive a été transposée par ordonnance le 1er décembre 2016[6] (ci-après ordonnance).
A la suite des divers attentats ayant frappé l’Europe en 2015 et qui ont fait apparaître une menace terroriste qui s’intensifie et qui se mute, la Commission, avant même la transposition de la quatrième directive en droit interne, a publié le 5 juillet 2016, une proposition de directive. Cette première proposition, qui précède celle du 21 décembre 2016 avait pour but de mettre en lumière l’utilisation frauduleuse du système financier en matière de blanchiment et de lutte contre le terrorisme.

Afin de riposter au mieux, les propositions de directive se veulent plus strictes et plus modernes. Pour cela, elles essayent  notamment de mieux comprendre les risques, ainsi que les faiblesses des outils de surveillance des moyens financiers utilisés par les blanchisseurs et les terroristes. C’est dans ce cadre que l’ACPR[7], ainsi que TRACFIN[8], ont modifié, le 15 février dernier leurs lignes directrices sur les obligations de déclaration et d’information à TRACFIN. Ces obligations ont pour objectif de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
L’infraction de blanchiment d’argent ne dispose pas d’une définition unique en Europe. En droit français, l’article 324-1 du code pénal définit le blanchiment comme « le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect. » mais également comme « le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. ».
Le financement du terrorisme quant à lui est défini à l’article 421-2-2 du code pénal comme « le fait de financer une entreprise terroriste en fournissant, en réunissant ou en gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou en donnant des conseils à cette fin, dans l'intention de voir ces fonds, valeurs ou biens utilisés ou en sachant qu'ils sont destinés à être utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre l'un quelconque des actes de terrorisme prévus au présent chapitre, indépendamment de la survenance éventuelle d'un tel acte. ».

Ces infractions touchent particulièrement les secteurs bancaires et financiers car les risques d’évasion fiscale, de corruption ou encore de fraude à l’assurance sont élevés. C’est la raison pour laquelle certaines professions du secteur bancaire ou assurantiel sont soumises à ce devoir de déclaration et d’information à TRACFIN, qui est une cellule de renseignement financier comme il en existe dans chaque Etat membre.   

Ainsi, il est utile de se demander dans quelle mesure l’Europe tient-elle compte des particularités liées aux secteurs multiples touchés par ces infractions ainsi que le caractère transfrontière de ces dernières.
La réponse à cette question peut s’articuler en deux axes. Dans un premier temps, il s’agira de se demander comment la directive et la proposition de directive règlent la question de la circulation des informations (I) avant d’analyser les dispositions permettant de prendre en compte le caractère international du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme (II).

I/ Un dispositif préventif de lutte renforcé par une meilleure circulation de l’information
Afin de permettre l’efficacité des dispositions de l’ordonnance, il faut identifier les organismes qui seront  soumis à des obligations spécifiques. A ce titre, les entités assujetties sont au cœur de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (A). Par ailleurs, les informations que ces entités détiennent étant essentielles, elles doivent pouvoir être utilisées en temps utile. La quatrième directive tente donc de faciliter l’accès à ces informations (B)

A.    Les professions assujetties au cœur de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme

Initialement circonscrit au secteur bancaire, le dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme a été étendu progressivement à plusieurs professions.
Les professions assujetties sont toutes les personnes physiques ou morales chargées de définir de  mettre en application les différentes dispositions des directives de lutte contre le blanchiment, de mettre en œuvre les procédures et de transmettre des informations aux organismes concernés.
L’article L.561-2 du code monétaire et financier établit une liste des professions soumises à des obligations spécifiques : banques et établissements de crédit ; établissements de paiement ; changeurs manuels ou encore établissement de monnaie électronique.
Ces professions sont au cœur de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme car elles assurent l’efficacité de la directive. Ces professionnels sont des entités par lesquelles transitent des fonds. Elles sont donc confrontées à des opérations de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.
Il est donc primordial de définir les personnes assujetties à des obligations spécifiques. C’est dans cette optique que quatrième directive élargit le nombre de professions assujetties. Désormais, les prestataires de services de jeux d’argent et de hasard sont également visés par l’article 3. L’intégration de ces derniers était essentielle car le Centre d’analyse du terrorisme, dans son dernier rapport[9], précisait que les terroristes se servaient également de ces services pour financer le terrorisme.
De plus, le dispositif de lutte est intensifié dans le secteur immobilier, trop souvent considéré comme un « trop faible pourvoyeur d’informations »[10]. Dorénavant, l’article L.561-2,8° du code monétaire et financier, modifié par l’ordonnance, étend le champ des activités soumises à des obligations particulières aux activités d'intermédiation en location immobilière.
Par ailleurs, le projet de cinquième directive de la Commission prend en compte les évolutions techniques et propose de faire des plate-formes de change de monnaie virtuelle des entités assujetties [11]. Cet ajout était nécessité à l’heure de la blockchain. En effet, la blockchain, dont le principe est le pseudonymat, favorise le manque de traçabilité des fonds et augmente les risques de financement du terrorisme et de blanchiment.

B.    Un accès à l’information facilité
Lors du sommet de 1989, le G7 avait recommandé la création de cellules de renseignement financier (CRF) chargées (de contribuer à la lutte contre le blanchiment d’argent. La France a donc choisi de créer TRACFIN. Afin de lutter contre le blanchiment, les organismes financiers, tels que les établissements de crédit, sont soumis à une obligation de déclaration à TRACFIN des sommes ou opérations leur paraissent illicites[12]. L’accès à l’information est donc crucial pour que TRACFIN puisse mener à bien ses missions.
Bien que l’un des objectifs principaux de la quatrième directive était justement de renforcer l’accès à l’information[13], l’accès à ces dernières était toutefois entravé car il était exigé que les professionnels assujettis effectuent au préalable une déclaration de soupçon[14]. C’est pourquoi, la Commission, dans sa proposition de directive de 5 juillet 2016, a indiqué vouloir modifier cet aspect en permettant aux CRF d’être en « mesure d’obtenir des informations auprès des entités assujetties », mais surtout, et c’est là que se situe la nouveauté « de les utiliser »[15] . Dans ce sens, la Commission propose d’intégrer également un article 32 bis qui imposerait aux Etats membres de veiller à ce que les mécanismes de renseignements soient directement accessibles aux CRF mais également aux autorités compétentes. Cela permettrait à ces derniers de se passer, dans certaines circonstances, des formalités prévues par l’article 33 de la directive qui dispose que pour que chaque CRF obtienne des informations auprès d’entités assujetties, il faudrait établir une déclaration de transaction suspecte au préalable.

Les pouvoirs d’investigation de TRACFIN en droit français sont donc accrus et son droit de communication étendu[16].
Par ailleurs, jusqu’à présent, la quatrième directive ne prévoyait aucune obligation pour les Etats membres de mettre en place des systèmes de registres bancaires ou des systèmes électroniques d’extraction de données[17]. Or, ces données permettraient de mener une action préventive transfrontière efficace. C’est pourquoi, la Commission propose la mise en place de mécanismes centralisés automatisés qui permettraient d’identifier rapidement les titulaires de comptes bancaires et de comptes de paiement[18] et ainsi savoir avec précision quels comptes appartiennent à une même personne, ce qui permettrait de détecter plu facilement les opérations suspectes

II/ Le caractère international du blanchiment et du financement du terrorisme
Le blanchiment d’argent ainsi que le financement du terrorisme étant caractérisés par une  délinquance transfrontière, une harmonisation maximale à un niveau régional est nécessaire (A). Par ailleurs, il est fondamental de favoriser l’alignement international (B)

A.    Une harmonisation maximale nécessaire
Si la troisième directive[19] était innovante en matière de détection et d’approche de la détection du blanchiment car elle adoptait une approche graduée en fonction des risques, elle avait néanmoins de nombreuses faiblesses. Une de ses principales faiblesses était la logique adoptée lors de la rédaction de cette directive. Le Parlement et le Conseil ont choisi de maintenir une harmonisation minimale.
Ce choix n’a pas été sans conséquence puisqu’il a eu pour effet de créer une distorsion de concurrence et d’amener les blanchisseurs à choisir les droits européens les plus favorables.

La Commission, encadre, dans la quatrième directive[20] beaucoup mieux les sanctions encourues. En effet, elle ne se contente plus de demander aux Etats membres d’adopter des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives »[21], mais définit, en les hiérarchisant, les sanctions que les législations doivent adopter et associer aux manquements constatés : déclaration publique, suspension, retrait de l’agrément, interdiction temporaire d’exercer pour les dirigeants des entités assujetties ou encre des sanctions pécuniaires. Par exemple, elle fixe le plafond de l’amende administrative à un million d’euros si le montant de l’avantage tiré de l’infraction est déterminable[22]. Il est, par ailleurs, prévu par l’article 60 de la quatrième directive que les Etats membres publient sur le site internet des autorités compétentes la mesure administrative avec la mention du type d’infraction commise ainsi que la personne responsable.
Le projet de cinquième directive dans sa dénomination même (proposition visant à « lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal »), cherche à accentuer en plus de l’harmonisation, le volet pénal de la lutte. En effet, dans ses considérants 5 et suivants, elle insiste sur la nécessité d’uniformiser la « définition des activités criminelles constitutives d’infractions principales [ …] dans tous les Etats membres ».

En conclusion, toutes ces indications témoignent de l’effort de la Commission d’harmoniser autant que possible les sanctions afin d’assurer l’effectivité des règles communautaires instaurées en matière de blanchiment.

B.    Un alignement international favorisé
Comme l’indiquait la Commission dans sa proposition de cinquième directive[23] venant réformer la quatrième directive, « Des mesures adoptées au seul niveau national ou même de l'Union, sans tenir compte de la coordination et de la coopération internationale, auraient […] des effets très limités. ». Il était donc crucial d’envisager au moins une coordination avec certaines enceintes internationales, telles que le Groupe d’action financière (GAFI), qui est en charge de l’élaboration de normes internationales en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

La quatrième directive et le règlement venant la compléter[24] tenaient déjà compte de l’aspect international de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. En effet, la directive [25] préconisait aux Etats membres de veiller à ce que les entités assujetties, dans leur évaluation  des risques de blanchiment, prennent en compte un certains nombre de facteurs de risques, dont certains pays ou zones géographiques.
Ces zones à risques s’alignent sur la liste établie par le GAFI et dans ce règlement, la Commission met bien en lumière l’importance de cet alignement car il contribuerait à maintenir « Afin de garantir l'intégrité du système financier mondial, il est de la plus haute importance que la liste des pays tiers établie au niveau de l'Union soit fortement alignée, le cas échéant, sur les listes convenues au niveau international. En promouvant une approche globale au niveau international, l'Union contribue à renforcer l'intégrité financière dans le monde entier et à mieux protéger le système financier international contre les pays à haut risque»[26]. Toutefois, cet alignement peut paraître compliqué, notamment, face aux nouveaux défis du numérique et les législations nationales embryonnaires dans le domaine.


[1] Y. Jeanclos, Droit pénal européen, dimension historique, Paris, Economica, 2009, p.5.
[2] Présentation de la directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015 dite quatrième directive anti-blanchiment
[3] Dir. Cons. 91/308/CEE, 10 juin 1991, JOCE 28 juin, no L 166, directive modificative 2001/97/CE du 4 décembre 2001, Dir. PE et Cons. 2005/60/CE, 26 oct. 2005
[4] Proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil, 21 Décembre 2016, COM(2016) 826 final
[5] Dir. 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil
[6] Ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorism
[7] Acronyme d’autorité de contrôle prudentiel et de résolution
[8] Acronyme de traitement du renseignement et actions contre les circuits financiers clandestins
[9] Bilan 2016, CAT, <http://cat-int.org>.
[10] Y. Pelosi et alii, Transposition de la 4e directive et extension des obligations de lutte anti-blanchiment dans le secteur immobilier, in AJDI, 2017, p. 167
[11] Proposition de directive du parlement européen et du conseil modifiant la directive (UE) 2015/849, p.14
[12] F. Perrotin, Blanchiment : fraude fiscale et déclaration de soupçon, in Les petites affiches, Janv.2018, p.4
[13] Art. 32 et 33 de la  Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015
[14] Art. L.561-15 du code monétaire et financier
[15] Proposition de directive de directive du parlement européen et du conseil modifiant la directive (UE) 2015/849, p.39
[16] D. Legeais, Commentaire de l'ordonnance en date du 1er décembre 2016 relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, in RTD com., 2017, p. 146
[17] cf. art. 57 de la directive qui ne fait qu’encourager les Etats membres à la communication
[18] proposition, p. 16
[19] Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005
[20] Chap VI, sect.4 de la Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015
[21] Art.37 directive 2005/60/CE du parlement européen et du conseil du 26 octobre 2005
relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme
[22] Art.59 de la Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015
[23] Proposition de dir. visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal, 21 déc. 2016, doc. 2016/0414 (COD
[24] Règlement délégué (UE) 2016/1675 de la Commission du 14 juillet 2016 complétant la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil par le recensement des pays tiers à haut risque présentant des carences stratégiques
[25] Art.8 de la Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015
[26] Considérant 6 du règlement délégué (UE) 2016/1675 de la Commission du 14 juillet 2016 complétant la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil par le recensement des pays tiers à haut risque présentant des carences stratégique

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