LE FINANCEMENT DE LA CONQUÊTE SPATIALE
Par
Mme BOUCHET Clémence Marie Noëline, M. BIYOUDI Kizi Nicolas et Mme ZIDANI Naima
RÉSUMÉ
L’espace a cristallisé différentes
tensions existantes entre États et a permis l’expression de rapports de
puissance[1] entre
eux. Cependant, si à l’époque de la Guerre Froide, l’utilisation de l’espace
était majoritairement militaire, il présente aujourd’hui un intérêt économique
et commercial majeur. Conscients des difficultés à mener une politique spatiale
au niveau national, les Etats ont créé des agences visant à coordonner et
unifier les différentes politiques spatiales nationales. Dans ce cadre, l’Agence
Spatiale Européenne (ASE) est constituée afin « d’accroitre l’efficacité de l’ensemble de l’effort spatial
européen par une meilleure utilisation des ressources (…) consacrées à l’espace
»[2]. L’efficacité
du modèle de financement réalisé à travers l’Agence Spatiale Européenne (ASE)
est renforcée par la mise en place, au niveau européen, d’un financement pluriannuel
des activités spatiales. Néanmoins, compte
tenu du besoin croissant d’investissements dans le domaine, le financement de
la conquête spatiale a été contraint d’évoluer. Ainsi, les nouveaux modèles de
financement faisant intervenir les acteurs privés ont fait leur apparition. Ce
rôle nouveau du secteur privé dans le financement des activités spatiales est
exacerbé dans le cadre du crowdfunding.
De sorte que l’espace est aujourd’hui un domaine où, presque, tout le monde
peut investir.
SUMMARY
As a new land, space has been an object of
ambition from the states. If this ambition has been formally for military
purposes, nowadays the space is everywhere. Therefore, it represents a key for
the states economies. Several ways have been found to raise money for the space
conquest. The European Space Agency (ESA) has been created with mission to “shape the development of Europe's space
capability and ensure that investment in space continues to deliver benefits to
the citizens of Europe and the world”. This agency helps its members to
coordinate their space policies. On that purpose, it collaborates keenly with
the European Union. The later organized its space policy into a multi-annual
budget, to be more efficient. Nevertheless, with the need of more investments,
the private sector is more and more involved. The cross founding is one of the
major signs of this knew involvement.
INTRODUCTION
« L’espace n’est
pas seulement une aventure, il est aussi une occasion économique ». Cette
affirmation de la Commission européenne dans son livre blanc relatif à un plan d’action pour la mise en œuvre d’une
politique spatiale européenne de 2003[3], indique
l’importance stratégique que revêt la conquête spatiale.
En effet,
l’espace représente un enjeu politique et économique majeur. Le domaine spatial
traverse toutes les strates de l’économie[4].
Pourtant, il a fallu très tôt[5]
élaborer un droit de l’espace, afin d’éviter la course aux armements d’une part
et d’autre part, promouvoir l’utilisation du territoire extra-atmosphérique à
des fins pacifiques.
Pour comprendre au mieux ce droit, il importe
d’exposer brièvement ses spécificités. Tout d’abord, l’une des spécificités du
droit de l’espace tient à ses sources historiques[6]. En
effet, un parallèle fut dressé entre le régime juridique de l’espace
extra-atmosphérique et le régime défini pour l’Antarctique par le traité de
Washington de 1959[7].
L’un comme l’autre ont pour origine commune l’année géophysique internationale
de 1956-1957[8].
Ainsi, les mêmes idées ont été à la base de la définition du régime juridique
applicable. Lors de l’adoption de la résolution 1721 (XVI) du 20 décembre 1961[9],
d’autres principes concernant le droit de l’espace furent énoncés, tels que
« l’applicabilité du droit
international à l’espace, la liberté d’exploration et la non-appropriation
nationale de l’espace »[10].
Ensuite, la deuxième spécificité du droit de l’espace, tient à sa dimension
nécessairement internationale. En effet, il s’agit « d’un espace d’où est complètement exclue toute revendication de
souveraineté territoriale ou toute proclamation de juridiction nationale
exclusive »[11] (à
la différence du droit de la mer ou du droit aérien par exemple). L’encadrement
juridique des activités se déroulant dans l’espace extra-atmosphérique est un
encadrement juridique international. Partant, il est constitué à la fois par
des conventions et accords internationaux et est mis en œuvre par diverses
organisations internationales spécialisées. Enfin, la dernière et troisième
spécificité tient au fait que le droit de l’espace est un « droit des techniques de pointe »[12].
Malgré le fait que toute revendication de souveraineté
nationale soit exclue, l’espace n’en demeure pas moins un enjeu clef pour les
Etats. Ainsi, les rapports de ceux-ci en la matière oscillent entre concurrence
et coopération. La volonté d'hégémonie dans ce domaine passe par l’importance
du financement. Ce dernier, nécessaire à l’accomplissement des objectifs des États,
emprunte différentes figures juridiques.
Dès lors, le régime juridique du financement de la
conquête spatiale permet-il une action efficace des États ?
Bien que le système traditionnel[13] de
financement ait démontré son efficacité (I),
les nouveaux enjeux en matière de conquête spatiale ont amené
les Etats à le compléter par d’autres modes de financements (II).
I.
L’efficacité
des modèles traditionnels de financement de la conquête spatiale
Conscients
des difficultés qu’il y a à aboutir à une action efficace à l'échelle
nationale, les Etats européens ont envisagé de mener leur politique spatiale à
l'échelle européenne. Aussi, la coordination au sein de l’Agence Spatiale
Européenne (ASE ou ESA[14]) (A) combinée à la recherche de
cohérence à travers un financement pluriannuel (B) ont classiquement permis un financement efficace de la conquête spatiale.
A.
Un financement coordonné dans le
cadre de l’Agence Spatiale Européenne : la naissance d’une politique
spatiale européenne
En matière
spatiale, la coopération européenne a été consacrée en 1964 par la création de
deux organisations internationales : le Centre Européen de Recherche Spatiale (CERS) et le Centre
Européen pour la Construction de lanceurs d’engins spatiaux (CECLES).
Toutefois, la faiblesse de ces organisations, qui ne disposaient pas de mandat
politique, avait conduit en 1975 à la création de l’Agence Spatiale Européenne
(ASE). L’article premier alinéa 3 de la Convention portant création d’une
Agence Spatiale Européenne (ASE) dispose que « tous les Etats membres participent aux activités
obligatoires mentionnées à l'art. V, 1 (a) et contribuent aux frais communs
fixes de l'Agence visés à l'annexe II ». Aux termes de l’article 5 de ladite Convention,
l’Agence finance trois types d’activités : des activités obligatoires[15],
des activités facultatives[16]
et des activités opérationnelles[17]
(l’ASE intervient de façon supplétive pour ces types d’activités). Ces
dernières sont conduites dans le cadre du budget général et du budget du
programme scientifiques. Les activités facultatives sont celles
financées par les États membres qui le souhaitent. Chaque pays décide donc des
programmes facultatifs auxquels il souhaite participer. L’article premier de
l’Annexe 3 de la Convention prévoit que l’État membre qui n’a pas
l’intention de participer à la réalisation d’un programme facultatif[18] dans
le cadre de l’Agence, doit déclarer de façon formelle son désintérêt, dans un délai
de trois mois. Les programmes obligatoires proviennent de contributions
financières versées par les États membres calculées selon un barème reposant
sur le produit national brut de chaque État membre[19].
L’article 13-a dispose en tout
état de cause que les États membres ne « peuvent verser des
contributions dépassant 25 % du montant total des contributions fixées par le
Conseil pour couvrir ces frais ». Les États membres sont donc les
acteurs essentiels de cette politique spatiale car ce sont ceux qui décident de
son financement mais ce sont également eux qui, par leurs politiques internes,
répondent aux enjeux spatiaux[20].
.
À savoir que la création du centre national
d’études spatiales (CNES) en 1961 a permis à la France de devenir la troisième
puissance spatiale au monde. Le schéma se fait comme suit : le CNES propose, le
gouvernement français décide puis, le CNES conduit la politique. Le centre
d’étude est en effet lié à l’Etat par un contrat pluriannuel depuis la période
2005-2010. Un second contrat a été conclu pour la période 2011-2015 dressant
les priorités de la politique spatiale du pays.
L’agence intergouvernementale
fonctionne sur la base d’un retour géographique. A ce titre, le montant
perçu par l’Etat correspond à sa contribution. L’ASE investit dans chaque État
membre sous forme de contrats attribués à l’industrie de l’Etat. Ces contrats
ont pour objet la réalisation d'activités spatiales. Leur montant sera plus ou
moins équivalent à la contribution de ce pays. La règle du retour
géographique vise « à ce que chaque
État membre participe équitablement à la mise en œuvre des programmes spatiaux,
compte tenu de sa participation financière »[21]. Ainsi, plus l’État
participant contribue au budget de l’ASE et plus son industrie bénéficiera des
contrats de l’Agence.
Il est important de préciser que tous les pays membres de l’Union Européenne
ne sont pas membres de l’ASE et inversement. L’Agence est, en effet, une
organisation indépendante qui entretient avec l’Union Européenne (UE) des
relations étroites en vertu d’un accord cadre de 2003. Ces deux organisations
élaborent ensemble la politique spatiale européenne. Ainsi, l’accord cadre CE-ASE de 2003 reconnaît la nécessaire
collaboration des deux organisations et la nécessité de coopérer
réciproquement.
La Commission européenne avait adopté un livre blanc[22]
le 11 novembre 2003 intitulé « espace :
une nouvelle frontière européenne pour une Union en expansion - Plan d'action
pour la mise en œuvre d'une politique spatiale européenne ». Jean-Jacques DORDAIN,
alors directeur général de l'ASE déclarait : « Cet accord, qui facilitera la mise sur pied de nouveaux projets
communs, fixe un cadre stable dans lequel pourra s'épanouir la coopération
entre l'ASE et l'UE, ce qui ne peut que profiter aux citoyens européens ». Les Etats
membres ont donc su à travers la Commission européenne et l’Agence Spatiale Européenne
mettre en commun leurs capacités technologiques et financières pour harmoniser
la politique spatiale. L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er
décembre 2009 confère à l’Union la compétence pour élaborer elle-même son
programme spatial avec l’ASE.
L’Agence spatiale, les États membres
mais également l’Union Européenne renforcement leur politique par un
financement pluriannuel.
B. Une cohérence de l’action spatiale
européenne renforcée par un financement pluriannuel
Les projets
menés dans le cadre de la politique spatiale Européenne et notamment la phase
de recherche se déroulent sur plusieurs années. Dès lors, l’efficacité et la
cohérence de l’action nécessitent un financement stable. C’est donc le choix
d’un financement pluriannuel[23] qui
a été opéré[24]
par les instances européennes dans le cadre de la politique stratégique. Ce
mode de financement permet d'échapper à l’annualité du budget pour mener des
politiques durables[25].
Cette continuité de l’action étant nécessaire dans les projets d’envergure. En
effet, elle permet de ne pas soumettre la bonne avancée des projets aux
contingences économiques[26].
Le cadre pluriannuel en matière de
politique spatiale s’illustre, ainsi, à travers deux programmes. Il s’agit d’une
part du programme « Horizon 2020 » et d’autre part du programme
« Copernicus ». 2014-2020[27].
Horizon 2020 est institué par le règlement du
Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 portant établissement du
programme-cadre pour la recherche et l'innovation « Horizon 2020 »[28]
. Il vise à favoriser le développement de la recherche et de l’innovation. Le
règlement adopte une définition large des activités de recherche et
d'innovation[29] qui permet d’englober la
recherche dans le domaine spatial. Le programme Copernicus est, quant à lui,
rénové dans le règlement du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014
établissant le programme Copernicus. Ce programme résulte d’un partenariat entre
l’Union Européenne, l’ASE et les États membres. Il vise à surveiller la terre
en vue notamment de protéger l'environnement. Il participe également du
renforcement de la compétitivité de l’Europe dans le domaine spatial[30].
Ce financement pluriannuel va donc ainsi permettre une meilleure cohérence des
politiques mise en œuvre dans les programmes. Il va en outre garantir une
certaine autonomie des programmes, autonomie de nature à renforcer l'efficacité
de leurs actions.
Les différentes
réussites de l’Europe pour mener une véritable « politique de la conquête
spatiale » attestent d’une certaine efficacité de son action. Néanmoins,
le développement constant des activités spatiales nécessite, pour les Etats, de
trouver de nouvelles sources de financement.
II.
L’efficacité
renforcée par de nouveaux modèles de financement de la conquête spatiale
Les Etats, depuis quelques années,
ont été amenés à trouver de nouvelles sources de financements de la conquête
spatiale dans les acteurs privés. Nous tenterons dès lors d’expliquer ce
phénomène de « privatisation des
activités spatiales »[31] (A). L’accroissement du nombre
d’activités exercées par le secteur privé a conduit celui-ci à se tourner vers
le « grand public[32] »
pour financer l’exploration spatiale. Ainsi, par le biais du crowdfunding[33],
nous verrons que les particuliers peuvent aujourd’hui, participer au
financement de la conquête spatiale (B).
A.
La
privatisation des activités spatiales : le nouvel ordre spatial
international
Le jour où la NASA s’adressera à des
compagnies de fusées privées n’est plus très loin aujourd’hui. En effet, Barack
OBAMA, alors encore Président des Etats-Unis d’Amérique, avait fait la
proposition de privatiser « en très
grande partie l’accès à l’espace, non seulement pour le transport de matériel
mais aussi pour celui des hommes »[34]. La
privatisation[35]
des activités spatiales est donc un sujet d’actualité. En effet, on observe une
tendance « globalement croissante
des financements privés »[36] dans
ce domaine.
Cette privatisation a été notamment permise par le
Traité de l’Espace de 1967[37] car deux
éléments favorables à la privatisation de l’espace ressortent des dispositions
de ce traité. D’une part, les Etats sont libres de choisir la forme juridique
de l’entité qui, exerce éventuellement pour leur compte des activités
spatiales. D’autre part, les Etats ont la pleine et entière liberté pour
décider d’autoriser les entreprises privées à s’engager dans les activités
spatiales. De plus, la validité de l’intervention dans l’espace des entités privées
est davantage renforcée par les dispositions complémentaires de la Convention
de 1972[38] et
de l’Accord de 1979[39], qui
« suggèrent elles aussi la présence
d’entités non gouvernementales et d’activités privées »[40].
Il ne fait nul doute que les services de
télécommunications[41][42], les « activités d’observation de la Terre[43]
[44] »
ou encore, la fabrication de satellites (qui est entre les mains d’entreprises
privées[45]) ont
fait, depuis longtemps, l’objet de privatisations. En revanche, la
privatisation totale des activités spatiales s’avère plus difficile. En effet,
le marché de l’espace étant un marché où le risque[46] est
très important, les entreprises privées hésitent à y investir considérablement.
Ce risque justifie alors « l’encadrement
mis en place par les Etats, au travers d’autorisations, de licences et
d’agréments »[47]. En
France, « les fusées, lanceurs
spatiaux, leurs constituants essentiels et les outillages spécialisés de
fabrication et d’essai de ces engins » et ce, quel que soit leur
finalité (militaire ou civile), relèvent du régime des « matériels de guerre, armes et
munitions » du décret-loi du 18 avril 1939 modifié[48]
prévoyant notamment une autorisation préalable du Premier Ministre[49]. Cet encadrement crée dès lors, un obstacle
considérable à la privatisation totale des activités spatiales.
Par conséquent, la privatisation des activités
spatiales s’est opérée progressivement. D’abord, cette privatisation s’est matérialisée
par le biais de la conclusion de partenariat public-privé[50]. En
France, ces partenariats public-privé (ci-après « PPP ») sont définis
comme des « contrats administratifs
par lesquels la personne publique confie à un tiers, pour une période
déterminée en fonction de la durée d’amortissement, des investissements ou des
modalités de financement retenues, une mission globale relative au financement
d’investissements immatériels, d’ouvrages ou d’équipements nécessaires au
service public, à la construction ou transformation des ouvrages ou équipements
ainsi qu’à leur entretien, leur maintenance, leur exploitation ou leur gestion
et, le cas échéant, à d’autres prestations de services conjurant à l’exercice,
par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée »[51] . Néanmoins,
la mise en œuvre d’un PPP est très complexe[52]. En
atteste le projet Galileo pour lequel était prévu, initialement, un financement
assuré d’une part par des fonds publics (provenant de l’Union Européenne et de
l’Agence Spatiale Européenne) et d’autre part, par des fonds privés (provenant
des consortiums Eurely et iNavSat) mais où les difficultés à mettre en place ce
PPP ont amené le Parlement européen, le 23 avril 2008[53], à
approuver finalement le financement entièrement public du projet.
Le développement de ces PPP pose en effet un réel
problème dans le cadre des activités spatiales. M. GAUBERT faisait d’ailleurs
remarquer que l’appel au financement privé touche à l’absurde dès lors que
l’industrie de la fabrication de satellites, par exemple, « ne peut compter sur un quelconque retour sur
investissement (…) n’étant pas en mesure de bénéficier de son
exploitation »[54].
Mais récemment, et pour ne donner qu’une illustration, un PPP conclu entre la
NASA et les sociétés SpaceX et Orbital Sciences est venu contredire les
critiques qui avaient pu être formulées à l’encontre de ce type de partenariat.
Le phénomène de privatisation s’est également illustré
par l’adoption de lois incitant les entreprises privées à participer au
financement de la conquête spatiale. En effet, et pour pallier au risque
important existant sur le marché de l’espace, de nombreux Etats (dont les
Etats-Unis sont les initiateurs) ont redoublé d’efforts. La loi sur la concurrence
dans le domaine des lancements spatiaux commerciaux[55]
adoptée en 2015 en est un exemple. En effet, afin d’inciter les entreprises,
cette loi prévoit en outre que les entreprises, sous juridiction américaine,
ayant développé la technologie permettant d’obtenir des ressources de corps
célestes pourront posséder ces ressources. Ces lois sont incitatives et peuvent
être qualifiées de révolutionnaires. Pour autant, elles n’enlèvent en rien la
nécessité, pour les entreprises privées, d’obtenir une autorisation
gouvernementale préalable. Certains pays ont vu en cette loi une violation de
l’article II du Traité de l’espace[56] en
ce qu’elle permettrait une appropriation des corps célestes. De même, le Space Act[57]
a eu un rôle très actif dans la dynamique de privatisation car en effet,
cette loi autorise « les sociétés
américaines à prospecter, extraire et vendre les ressources minières des
astéroïdes et des planètes »[58]. Là,
nous voyons que les traités internationaux n’ont su s’adapter au phénomène de
privatisation puisque ceux-ci interdisent à tout gouvernement de s’approprier
l’espace, mais pas aux individus. Face à ce vide juridique apparent, certains
remettent en cause les traités spatiaux, tels qu’ils ont été négociés et
rédigés dans les années soixante et soixante-dix. Selon eux, les changements
dans les paramètres de l’activité spatiale imposent que soient faites des
modifications à ces traités.
Néanmoins aujourd’hui, cette privatisation tend à
devenir totale (en ce que le secteur public n’interviendrait plus du tout). En
effet, la NASA « parie désormais sur
le secteur privé pour exploiter les ressources de la Lune »[59].
Cette initiative, baptisée Catalyst[60] ne
prévoit aucune participation financière publique. Certains s’inquiètent alors
de la place croissante prise par les entreprises privées et des pressions que
ces dernières peuvent exercer sur les Etats, au niveau de la prise de
décision. Ces entreprises, en effet, sont
parfois plus puissantes que certains Etats[61].
D’autres, encore plus pessimistes, à l’instar de M. Salin, remarquent que
« les principes de liberté appliqués à l’exploration
spatiale, à l’investigation scientifique et la non-appropriation de l’espace
extra-atmosphérique ont joué un rôle majeur en permettant le développement de
l’utilisation de l’espace » mais qu’il était temps de « réexaminer leur pertinence au moment où le
genre humain a déjà commencé à (sur)exploiter l’espace proche de la Terre »[62].
Le phénomène de privatisation, en ce
qu’il constitue un nouveau modèle de financement de la conquête spatiale, a eu
pour conséquence de raviver l’intérêt du grand public pour l’exploration
spatiale. Il en résulte qu’un autre modèle de financement a fait son apparition
dans ce domaine : le crowdfunding.
B.
Le
recours au crowdfunding : une
démonstration du soutien public
Le mécanisme du crowdfunding est aujourd’hui connu de tous. En France, l’ordonnance
n°2014-559 du 30 mai 2014[63],
prise sur le fondement de l’article 1er de la loi n°2014-1 du 2
janvier 2014, a créé dans le Code monétaire et financier, un cadre juridique à
ce nouveau mode de financement qu’est le financement participatif. Cependant,
le fait que ce mode de financement apparaisse dans le champ du financement de
la conquête spatiale est plus étonnant.
Pourtant, le secteur privé a de plus en plus recours
au crowdfunding pour « recevoir une
contribution financière »[64] mais
également pour assurer une certaine publicité des activités spatiales au niveau
du grand public. Le recours au crowdfunding
se révèle donc être une grande ressource pour le domaine de la recherche.
Pour ne donner qu’un exemple, l’organisation danoise
Copenhagen Suborbitals a lancé un projet en 2008 ayant pour but d’envoyer un
homme dans l’espace « au moyen d’une
technologie développée en toute transparence sur le principe de l’open
source »[65]. Le
modèle économique de ce projet repose en grande partie sur un réseau étendu de
donateurs réguliers et de quelques sponsors.
La NASA est prête à recourir à ce mécanisme de crowdfunding mais s’oppose en cela au
Congrès Américain. Ce dernier ne se dit pas prêt à « remettre les missions de la NASA entre les mains du grand public »[66].
Cela n’empêche pas la NASA de solliciter l’avis du grand public (comme cela
avait été le cas lors de la présentation du robot Curiosity chargé d’explorer
la planète Mars).
Afin que le grand public se sente concerné et ait
envie de procéder au financement de la conquête spatiale, les concepteurs de
campagne usent de toute sorte de techniques. Par exemple, pour le financement
du télescope ARKYD[67], les
contributeurs se voyaient offrir une photo d’eux sur fond de constellations ou
encore (pour les dons supérieurs à 10 000 dollars), les donateurs étaient
assurés d’être invités au lancement du télescope[68].
On remarque ainsi, le crowdfunding est en train « de prendre une place de plus en plus importante dans la course aux
étoiles »[69].
[1] H. MORGENTHAU, « Politics among
Nations : the struggle for power and peace », New-York, KNOPF, 1948.
[2] Préambule de la
Convention portant création de l’Agence spatiale européenne.
[3] Com. 2003 673
final du 11 novembre 2003.
[4] L’exemple des
télécommunications suffit à lui seul à démontrer l’affirmation.
[5] Le caractère
prématuré s’évalue ici à l’échelle de la conquête spatiale.
[6]
« Libéralisation des activités spatiales et évolution du droit de
l’espace », JP. QUENEUDEC, Le droit
de l’espace et la privatisation des activités spatiales, Paris, 2003,
Pedone, p.93.
[7] Texte du Traité.
URL : https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%20402/volume-402-I-5778-French.pdf
[8] L’année
géophysique internationale fut un ensemble de recherches, coordonnées à l’échelle
mondiale, menées entre juillet 1957 et décembre 1958, lors d’une période
d’activité solaire maximum, en vue d’une meilleure connaissance des propriétés
physiques de la Terre et des interactions entre le Soleil et notre planète.
[9] Texte de la
résolution 1721 (XVI) du 20 décembre 1961 sur la coopération internationale
touchant les utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphériques.
[10]
« Libéralisation des activités spatiales et évolution du droit de
l’espace », JP. QUENEUDEC, Le droit
de l’espace et la privatisation des activités spatiales, Paris, 2003,
Pedone, p.93.
[11] Ibid.
[12] Expression
employée par le Doyen Colliard.
[13] Traditionnel dans
le sens où le « droit des activités
spatiales est considéré comme le prolongement ou plutôt l’évolution du droit de
l’espace, relevant du droit international public, vers un droit rattaché au
droit privé, en raison des phénomènes de commercialisation et de privatisation »,
Le droit des activités spatiales à l’aube du XXIème siècle, sous la dir. de L.
RAVILLON, Paris, 2003, Litec.
[15] Article 5.1-a de
la Convention portant création de l’Agence Spatiale Européenne.
[16] Article 5.1-b de
la Convention portant création de l’Agence Spatiale Européenne.
[17] Article 5.2 de la
Convention portant création de l’Agence Spatiale Européenne.
[18] Lorsque le
Conseil, conformément à l’article XI, 5 (c) (i) de la Convention, a accepté la
réalisation d’un programme facultatif.
[19] Article 13.1 de
la Convention portant création de l’Agence Spatiale Européenne.
[20] Selon les lignes directrices et orientations de la
politique française, « Mettre en
place une gouvernance adéquate au sein de l'Europe de l'espace : donner à
l'Union européenne un rôle de pilote stratégique de la politique spatiale
européenne et utiliser les compétences existantes au sein de l'ESA et des États
membres »
[22] Les livres blancs contiennent un ensemble
argumenté de propositions d’actions communautaires dans un domaine spécifique.
[23] À lire sur le
cadre pluriannuel : A.POTTEAU, « La négociation du cadre financier
pluriannuel 2014-2020 », Chronique
Finances publiques de l’Union Européenne, RTD euro.2012, p.420.
[24] Article 312 du
TFUE.
[25] On se souvient en
effet qu’il a fallu pas moins de 17 années pour que les premiers services de
Galileo soient opérationnels.
[26] Rapport
d’information parlementaire sur la politique spatiale européenne du 12 juillet
2016.
[27] Ilkka Saarilahti,
« Les innovations des procédures budgétaires de l’Union Européenne »,
Rev. UE 2016.116.
[28] Règlement
européen n°1291/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013
portant établissement du programme-cadre pour la recherche et l’innovation
« Horizon 2020 » (2014-2020) et abrogeant la décision
n°1982/2006/CE : programme cadre pour la recherche et l’innovation.
[29] Article 2 du
Règlement n°1291/2013 du 11 décembre 2013.
[30] Article 4 du
Règlement n°1291/2013 du 11 décembre 2013.
[31] « La
privatisation des activités spatiales, le point de vue des lanceurs », R.
PHAN VAN PHI, Le droit de l’espace et la
privatisation des activités spatiales, Paris, 2003, Pedone, p.39.
[32] Expression
utilisée dans « Un petit pas pour l’Homme, un grand pas pour le
crowdfunding », article paru sur le site Good morning Crowdfunding, 2015.
[33] Entendu comme
« financement participatif ».
Financement encadré par l’Ordonnance n°2014-559 du 30 mai 2014 relative au
financement participatif.
[34] « Barack
Obama veut privatiser la conquête spatiale… et dégraisser la NASA », J.
FENOGLIO, Le Monde, Paris, 2010.
[35] Selon Raymond
Phan Van Phi, privatiser se comprend comme « confier au secteur privé une activité relevant jusqu’alors du secteur
public » dans « La privatisation des activités spatiales, le
point de vue des lanceurs », R. PHAN VAN PHI, Le droit de l’espace et la privatisation des activités spatiales,
Paris, 2003, Pedone.
[36] « Conquête
spatiale de demain : quel rôle pour le secteur privé ? », H. R.
HERTZFELD, Les Grands dossiers de
Diplomatie, n°34, août-septembre 2016.
[37] Traités et
principes des Nations Unies relatifs à l’espace extra-atmosphérique. Traité sur
les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et
d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres
corps célestes. Pour voir le texte :
[38] Traités et
principes des Nations Unies relatifs à l’espace extra-atmosphérique. Convention
sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets
spatiaux. Pour voir le texte :
[39] Traités et
principes des Nations Unies relatifs à l’espace extra-atmosphérique. Accord
régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes.
Pour voir le texte : URL : http://www.unoosa.org/pdf/publications/STSPACE11F.pdf pp.30-42.
[40] M. COUSTON, L’émergence des activités spatiales à vocation
économique et l’évolution du droit de l’espace, Thèse.
[41] C’est l’exemple
de France Télécom ou encore d’Eutelsat
[43] Les activités
d’observation de la terre sont aujourd’hui, majoritairement confiées à des
entreprises privées telles que SPOT Images qui vend ses photos prises de
satellites
[44] « La
privatisation des activités spatiales, le point de vue des lanceurs », R.
PHAN VAN PHI, Le droit de l’espace et la
privatisation des activités spatiales, Paris, Pedone, 2003, p.40.
[45] Sous réserve du
respect des règles et procédures de sécurité/défense.
[46] L. RAVILLON, Droit des activités spatiales. Adaptation
aux phénomènes de commercialisation et de privatisation, Travaux du Centre
de Recherche sur le droit des marchés et des investissements internationaux,
vol. 22, Paris, Litec, 2004, p.29.
[47] Ibid.
[48] En application du
décret 95-589 du 6 mai 1995, chapitre II, article 3.
[49] Commission
interministérielle pour l’étude des exportations des matériels de guerre,
composée du Secrétaire général de la Défense nationale, d’un membre du cabinet
du ministère des Affaires étrangères, d’un membre du cabinet du ministre de la
Défense, d’un représentant du ministère de l’Économie et des Finances.
[50] Pour une
définition large du partenariat public-privé : « toutes les formes de collaboration entre, d’une part, les pouvoirs
publics et, d’autre part, les entreprises privée » (P. LIGNIÈRES, Partenariats Publics Privés, coll.
Affaires Finances, Paris, Litec, 2000, p.1 n°5) ou pour une définition stricto sensu : « collaboration autour de projets communs, de
l’Etat ou de ses démembrements, d’une part, et des entreprises privées, d’autre
part » (Ibid., p.2 n°6).
[51] Cette définition
est celle retenue par le droit français, à l’article 1er de
l’Ordonnance n°2004-559 du 17 juin 2004, dite Ordonnance sur les contrats de partenariats, JORF n°141 du 19 juin
2004, p.10994.
[52] « Le
financement des activités spatiales » par M. LEIMBACH, Le droit des activités spatiales à l’aube du
XXIème siècle, Paris, Litec, 2005, p. 307.
[53] Le règlement du 9
juillet 2007 acte l’abandon du PPP et prévoit les modalités de poursuite du
programme Galileo.
[54] A. GAUBERT,
« Le financement public des activités spatiales et sa signification
politique », Dossier Géoéconomie de
l’espace, Géoéconomie, hiver 2001/2002, n°20, p. 209.
[55] Congrès des
États-Unis, U.S. Commercial Space Launch Competitiveness Act, Public
Law 114-90, 25 novembre 2015. URL : https://www.congress.gov/bill/114th-congress/house-bill/2262/text
[56] Traité sur les
principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et
d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres
corps céleste (« Traité de l’espace »), Londres/Moscou/Washington, le
23 janvier 1967. L’article II dispose que « l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps
célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de
souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre
moyen ».
[57] U.S. Code, Title 51, National and Commercial Space
Programs, §20113; Pub. L. No.11-314, 124 Stat. 3328 (18 décembre 2010).
[58] U.S. Commercial Space Launch Competitiveness
Act. URL : https://www.congress.gov/bill/114th-congress/house-bill/2262/text
[59] « Sous
l’égide de la Nasa, des entreprises privées bientôt à l’assaut de la
lune », Sciences et Avenir, 2014.
[60] Pour Cargo Transportation and Landing by Soft
Touchdown.
[61] R.S JAKHU, V.R SERRANO, « International
Regulation of Radio Frequencies for Space Services », Project 2001 – Legal Framework for Commercial Satellite
telecommunications, June 8/9, 2000, Berlin, p.101.
[62] « Aspects
juridiques de la globalisation des communications », http://www.unice.fr/IDPD/Salin.htlm, p.2.
[63] Ordonnance
n°2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif. Journal
Officiel, 31 mai 2014, p.9075.
[64] « Un petit
pas pour l’Homme, un grand pas pour le crowdfunding », article paru sur le
site Good morning Crowdfunding, 2015.
[65] « Copenhagen
Suborbitals : Financement participatif et conquête spatiale », N.
BABELON, 2014. URL : http://blog.economie-numerique.net/2014/12/01/copenhagen-suborbitals-financement-participatif-et-conquete-spatiale/
[66] « Un petit
pas pour l’Homme, un grand pas pour le crowdfunding », article paru sur le
site Good morning Crowdfunding, 2015.
[67] Construit par
Planetary Resources.
[68] « ARKYD :
grâce au crowdfunding, l’espace à portée de main des internautes », Atlantico, 2013.
[69] « Un petit
pas pour l’Homme, un grand pas pour le crowdfunding », article paru sur le
site Good morning Crowdfunding, 2015.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire