La plateforme de droit bancaire et financier des étudiants en Master 2 - Droit européen et international économique et de Droit des Affaires Approfondi - de l'Université Paris XIII

23 mars 2017

LES AGENCES DE NOTATION ET L'ANALYSE FINANCIERE


LES AGENCES DE NOTATION ET L'ANALYSE FINANCIERE


Jihane Berrabeh, Randa Ben Rabeh et Rayhane Labidi

20/02/2017



Summary : Rating agencies and financial analysts are among the most powerful players involved in financial market. Obviously, both of them have a crucial role in the occurrence of the 2008 financial crisis. In one hand, the agencies underestimated the credit risk associated with structured credit products to avoid market dysfunction and failed to adjust their ratings quickly enough. In the other hand, there is a conflict of interest; issuers bought high ratings from the rating agencies. For this reason, an European regulation have been decided to protect the investors’ own interests and to preserve the functioning of the financial marketplace. Besides, European authorities of regulation had decided to enhance the efficiency of many laws concerning the activity of rating and financial analysis. Moreover, the responsibility of the financial analysis and the rating agencies which used the practice of securitization, has been enhanced at the same time.

Résumé : Les agences de notation ainsi que les analystes financiers font parties des acteurs les plus puissants exerçant sur les marchés financiers. Evidemment, les deux acteurs  financiers ont un rôle crucial dans le déclenchement de la crise financière de 2008. D’une part, ils ont joué un rôle important dans le déclenchement de cette crise que ce soit par la technique de titrisation des créances utilisée, ou par la fourniture d’une analyse erronée ne correspondant pas à la réalité financière. D’autre part, ils étaient au cœur d’un conflit intérêts. De ce fait, les autorités de régulation européenne ont décidé de mettre en place une nouvelle régulation visant l’activité de notation financière, ainsi que d’envisager la possibilité d’engager la responsabilité de certains acteurs financiers à l’égard des investisseurs bien qu’elle ne soit pas facile à engager en pratique.

« La crise financière mondiale - non anticipée par la plupart des analystes - montre que la plupart des prévisionnistes ne sont pas bien lotis pour la tarification des risques économiques / financiers, et encore moins pour les risques géopolitiques. » avait déclaré Nouriel Roubini, ancien conseiller au trésor américain[1].
Dans le contexte de la crise financière des subrpimes, l’activité de la notation financière ainsi que celle de l’analyse financière, ont été remises en cause pour des raisons touchant directement la protection des investisseurs et la préservation de l’équilibre des marchés financiers. La critique a en effet été hautement soulevée à l'encontre des agences de notation.
Le règlement européen de 2009, visant à encadrer l'activité des agences de notation, définit le statut d'agence de notation financière de crédit comme étant « une personne morale dont l’activité inclut l’émission de notations de crédit à titre professionnel ». Le règlement précise que la notation de crédit émise par une agence de notation est une évaluation de la capacité d’un emprunteur à rembourser sa dette, donnée sous forme d’avis[2]. Au niveau national, la notation financière est considérée comme un service connexe aux servies d’investissement[3].
Bien qu’elles émettent une opinion en se basant sur des informations financières, les agences de notation exercèrent une activité totalement différente de l’analyse financière. En effet, cette dernière se définit comme l’ensemble d’informations «recommandant ou suggérant une stratégie d'investissement, explicitement ou implicitement, concernant un ou plusieurs instruments financiers ou les émetteurs d'instruments financiers, y compris les opinions émises sur le cours ou la valeur présente ou future de ces instruments, destinés aux canaux de distribution ou au public et pour lesquels les conditions suivantes sont remplies »[4].
Il faut toutefois garder à l'esprit que l’analyse financière se distingue de la fourniture de conseils en investissement [5].Le service de conseil en investissement se caractérise par « le fait de fournir des recommandations personnalisées à un tiers, soit à sa demande, soit à l'initiative de l'entreprise qui fournit le conseil, concernant une ou plusieurs transactions portant sur des instruments financiers »[6].
Ayant un rôle de plus en plus important dans le fonctionnement des marchés financiers, les agences de notation ainsi que les analystes financiers, qui bénéficiaient d’une quasi dérégulation de leur activité, font aujourd’hui l’objet d’un encadrement juridique plus solide.
Toutefois, la régulation de l’activité de notation et d’analyse financière permet-elle de préserver la stabilité et l’équilibre des marchés financiers ? 
La mise en place d'un cadre de régulation dénote une volonté européenne de réglementation de l'activité de notation et d'analyse financière depuis la crise des subprimes (I), sans toutefois ignorer la nécessité d'une responsabilisation envisageable de ces activités pour l'avenir (II).

I-                   La réglementation européenne sur l'activité de notation et d'analyse financière

La mise en place d’une nouvelle régulation de l’activité de certains acteurs financiers a été décidée par les autorités régulatrices (A) et renforcée afin d’atteindre les objectifs souhaités (B). 

A-    Les prémices d’un encadrement juridique de la notation et de l'analyse financière

Au lendemain de la crise financière mondiale des subprimes, l'Union européenne (UE) prend conscience de la nécessité de réinstaurer une régulation des agences de notation et d’analystes financiers. C'est par le règlement du 16 septembre 2009, première législation européenne encadrant l'activité de notation financière[7], que l'on entend garantir l'indépendance, mais également l'intégrité et la qualité de la notation financière. Le règlement du 11 mai 2011, viendra préciser les exigences de protection des investisseurs et de garantie de la stabilité des marchés financiers au sein de l'UE.[8] Encadrée dans des délais stricts, la gestion des conflits d'intérêts des agences est mise en abîme : Elles sont dans l'obligation d'utiliser des méthodes de notation « rigoureuses, systématiques, sans discontinuités et pouvant être validées sur la base de données historiques, y compris des contrôles a posteriori ». [9]
Tout en balayant le contenu des notations de crédit, les règlements tendent au respect du principe de transparence des agences en exigeant une publication de leur méthode de notation – jusque-là peu encadrées – afin de permettre une meilleure appréhension du risque. L'atout majeur de ces textes porte notamment sur l'extension des prérogatives et responsabilités de l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (AEMF). Le règlement de 2011[10]a complété ce mécanisme en transférant à l'AEMF, les pouvoirs d’enregistrement et de certification ainsi que l’enquête, le contrôle et les sanctions susceptibles d’être prononcées à l’égard des agences de notation, les autorités nationales étant alors déchargées. Cette législation a marqué un tournant pour les agences de notation puisque celles-ci sont désormais surveillées par l’autorité européenne.  La mise en place d'une surveillance continue est la preuve d'une volonté d'encadrement strict renforcé par la possibilité d'infliger des sanctions aux agences en cas de violation des dits règlements.
Le point négatif, démontré par un rapport spécial publié en 2015, tient au fait que la surveillance par l'UE sur les agences de notation de crédit n'est toujours pas pleinement efficace ; en pratique cela paraît plus difficile et des efforts restent à fournir comme l'analyse la Cour des comptes de l'UE[11].

B-     Le renforcement de la régulation des agences de notation et d’analystes financiers

Les nouvelles règles du règlement 2013[12], amendant le règlement 2009 par souci de clarté et de précision, viennent limiter la dépendance à l’égard des agences de notation. Cette exigence prend plusieurs formes : D'abord le règlement précise que les trois autorités européennes de surveillance (ABE, AEAPP et AEMF) ainsi que le Comité européen du risque systémique (CERS) ne doivent plus s’appuyer sur les notations de crédit des agences dans leurs orientations et recommandations dans le cas où ces notations seraient utilisées de manière exclusive.[13] Ensuite, il fait référence à une suppression « au 1er janvier 2020 toutes les références aux notations de crédit dans la législation de l’Union, sous réserve d’avoir identifié et mis en œuvre des solutions appropriées en alternative »[14]. Enfin, ce règlement organise l’évaluation des risques de crédit par les établissements financiers eux-mêmes. Il s’agit pour ces derniers de ne plus être exclusivement tributaires des agences de notation et de se substituer progressivement à elles, du moins en partie.[15]
L'objectif du règlement tend également à éviter les conflits d’intérêts : Il met en place plusieurs dispositions. Par exemple, un actionnaire détenant 5% du capital ou des droits de vote d’une agence de notation ne peut plus être actionnaire à la même hauteur dans une autre agence de notation.[16] En vue de restreindre les risques de conflits d’intérêts, le règlement impose également à toute agence de notation d’informer le public dès lors qu’un de ses actionnaires détient au moins 5 % de son capital ou droits de vote et 5 % d’une société qu’elle a notée. Une interdiction de notation est prévue dans le cas où l’actionnaire d’une agence détient à la fois 10 % du capital ou droits de vote de celle-ci et 10 % dans une entreprise notée par cette-dernière. Ainsi, le législateur français oblige les dirigeants d’une société « s'abstenir de toute initiative auprès des analystes financiers dont ils rémunèrent les services qui aurait pour objet ou pour effet de privilégier leurs intérêts propres, ou ceux de leurs actionnaires, au détriment d'une information sincère ».[17]
Le législateur européen admet par ailleurs une meilleure visibilité et transparence de l'activité financière.[18] Accroître la transparence de l’industrie de la notation contribue à responsabiliser ses acteurs et constituer une opportunité pour les petites agences de gagner en notoriété.

II-                La responsabilisation envisageable des agences de notation et d'analystes financiers

La responsabilité des agences de notation et d’analystes financiers peut être engagée par le fait qu’ils aient manqué à leurs obligations (A), mais ils demeurent rarement condamnés (B).
A-    Le recours contestable à la technique de titrisation et la mauvaise évaluation du risque

La titrisation des créances est « une technique de financement par laquelle des actifs homogènes générateurs de revenus — qui, seuls, pourraient être difficiles à échanger — sont rassemblés et vendus à une entité tierce créée pour l'occasion, laquelle les utilise comme sûreté pour émettre des titres qu'elle vend sur les marchés financiers » [19]
En France, cette opération financière a été massivement utilisée avant la crise de 2007, les agences de notation ont été critiquées car elles ont surévalué les crédits titrisés[20].Bien que la note de crédit ne soit qu’un indice à lequel se référent non seulement les investisseurs pour investir sur les marchés financiers, mais aussi les analystes financiers pour délivrer leur analyse.
Toutefois, une mauvaise évaluation du risque peut se produire. Une analyse financière erronée peut être liée aux méthodes opaques utilisées par certains analystes financiers qui se sont trouvés au cœur d’un conflit d’intérêts[21]. Les agences de notation quant à elles, ont été accusées de surévaluer les crédits titrisés. Cela affecte non seulement les propres intérêts investisseurs, mais aussi l’équilibre des marchés financiers, d’où le renforcement de leur responsabilité.

B-     La difficulté pratique d'une responsabilisation judiciaire des acteurs financiers

Bien que le règlement de 2009[22] ait bien crée une responsabilité administrative à l’égard des agences de notation, il n’a en revanche instauré aucun régime de responsabilité civile particulier à l’égard des agences de notation. Ce qui explique que ce règlement ait été modifié encore une fois en 2013 pour déterminer qu’est-ce qu’une responsabilité civile.[23]
Le point important concerne avant tout le fait qu’un investisseur ou un émetteur puisse subir un préjudice. L’objectif est donc de responsabiliser davantage les agences de notation, cette volonté de renforcer la responsabilité se manifeste dans la disposition de l’article L544-6 CMF.[24] Si un investisseur ou un émetteur s’est référé à une notation pour investir et que cette notation lui a causé un préjudice par la suite, il a droit à une réparation. Par conséquent, la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle prévue à l’article L544-5 CMF peut être engagée[25]. On en déduit que les conditions classiques de l’établissement de la responsabilité doivent être réunies[26].
Certes il y a eu des actions en justice portées contre les agences de notation et les analystes financiers, mais en pratique leur responsabilité est difficile à engager. Concernant les agences de notation, l'agence Standard & Poor's a été condamnée à dédommager des collectivités locales ayant investi des millions de dollars dans des produits financiers peu fiables qui avaient pourtant été bien notés par l'agence américaine[27].En France, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris a reconnu la responsabilité civile déllictuelle de la banque Morgan Stanley pour avoir diffusé une évaluation erronée sur la situation financière de son investisseur.
Ces affaires en sont qu'une brève illustration de condamnations effectives des agences financières et ne permettent pas assez de préjuger d'une réelle responsabilisation effective de ces acteurs; laquelle demeure encore aujourd’hui hautement souhaitée par l'ensemble de la société civile.





[1]“The global financial crisis - missed by most analysts - shows that most forecasters are poor at pricing in economic/financial risks, let alone geopolitical ones”.
[2]Règlement (CE) N° 1060/2009 du parlement européen et du conseil du 16 septembre 2009 sur les agences de notation de crédit, l’article 3.
[3]Article L321-2 CMF (Modifié par LOI n°2010-1249 du 22 octobre 2010 - art. 10 (V)
[4]Article L544-1 CMF (Modifié par LOI n°2010-1249 du 22 octobre 2010 - art. 10 (V)
[5]Alain Couret, Hervé Le Nabasque, Droit financier, Dalloz 2eme édition, 2012, p.140-141 ; 2° de l’article L544-1 (Modifié par LOI n°2010-1249 du 22 octobre 2010 - art. 10 (V).
[7]Règlement (CE) No 1060/2009 du parlement européen et du conseil du 16 septembre 2009 sur les agences de notation de crédit.
[8] Règlement (UE) n°511/2011 amendant celui de 2009.
[9] Article 8 3° Méthodes, modèles et principales hypothèses de notation, Règlement (CE) nº1060/2009 sur les agences de notation de crédit.
[10] Règlement (UE) n°511/2011 amendant celui de 2009 sur les agences de notation de crédit.
[11] Rapport spécial n°22 de 2015 de la Cour des Comptes de l’Union européenne, « La surveillance, par l’UE, des agences de notation de crédit est bien en place, mais elle n’est pas encore totalement efficace ».
[12]Règlement (UE) n°462/2013du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 modifiant le règlement (CE) nº1060/2009 sur les agences de notation de crédit.
[13]Article 5 ter du Règlement(UE) n°462/2013
[14]Article 39 ter du Règlement (UE) n°462/2013
[15]Article 5 bis intitulé « Dépendance   excessive   des   institutions   financières à l’égard des notations de crédit » n°462/2013
[16]Article 6 bis du règlement n° 462/2013.
[17]Article L. 544-2 du Code Monétaire et Financier (CMF).
[18]Article 11 bis du règlement n° 462/2013.
[19]AngelosDelivorias, « ANALYSE APPROFONDIE EPRS : Comprendre la titrisation ». Service de recherche du Parlement européen, Service de recherche pour les députés Octobre 2015.
[20]Kethar S. et RathaDn « Titrisation de créances futures : un bon outil pour les pays en développement, » Finances & développement, mars 2001, p. 46
[21] Affaire Morgan Stanley VS LVMH CA Paris, 15e ch., sect. B., 30 juin 2006, no RG : 04/06308
[22]Règlement (CE) No 1060/2009 du parlement européen et du conseil du 16 septembre 2009 sur les agences de notation de crédit
[23] Article 35 du règlement (UE) n°462/2013
[24] Article L544-6  (Créé par la loi n°2010 -1249 du 22 octobre 2010 - art 10 (V) « Les clauses qui visent à exclure la responsabilité des agences de notation de crédit mentionnées à l'article L.544-4  sont interdites et réputées non écrites »
[25] Article L544-5 du Code Monétaire et Financier (CMF).
[26] A.D. MERVILLE « La responsabilité civile, pénale, administrative des agences de notation », Revue Droit bancaire et financier n°3, LexisNexis, 2013.
[27]California Public Employees’ Retirement Systems v. Moody’s Corp. et al., Superior Court of California, San Francisco County, No. 09-490241 (May 24, 2010).

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