LES AGENCES DE NOTATION ET L'ANALYSE FINANCIERE
Jihane Berrabeh, Randa Ben Rabeh et Rayhane Labidi
20/02/2017
Summary : Rating agencies and financial analysts are among the most powerful players involved in financial market. Obviously, both of them have a crucial role in the occurrence of the 2008 financial crisis. In one hand, the agencies underestimated the credit risk associated with structured credit products to avoid market dysfunction and failed to adjust their ratings quickly enough. In the other hand, there is a conflict of interest; issuers bought high ratings from the rating agencies. For this reason, an European regulation have been decided to protect the investors’ own interests and to preserve the functioning of the financial marketplace. Besides, European authorities of regulation had decided to enhance the efficiency of many laws concerning the activity of rating and financial analysis. Moreover, the responsibility of the financial analysis and the rating agencies which used the practice of securitization, has been enhanced at the same time.
Résumé :
Les agences de notation ainsi que les analystes financiers font parties des
acteurs les plus puissants exerçant sur les marchés financiers. Evidemment,
les deux acteurs financiers ont un rôle
crucial dans le déclenchement de la crise financière de 2008. D’une part, ils
ont joué un rôle important dans le déclenchement de cette crise que ce soit
par la technique de titrisation des créances utilisée, ou par la fourniture
d’une analyse erronée ne correspondant pas à la réalité financière. D’autre
part, ils étaient au cœur d’un conflit intérêts. De ce fait, les autorités de
régulation européenne ont décidé de mettre en place une nouvelle régulation
visant l’activité de notation financière, ainsi que d’envisager la possibilité
d’engager la responsabilité de certains acteurs financiers à l’égard des
investisseurs bien qu’elle ne soit pas facile à engager en pratique.
« La crise
financière mondiale - non anticipée par la plupart des analystes - montre que
la plupart des prévisionnistes ne sont pas bien lotis pour la tarification des
risques économiques / financiers, et encore moins pour les risques
géopolitiques. » avait déclaré Nouriel
Roubini, ancien conseiller au trésor américain[1].
Dans le contexte de
la crise financière des subrpimes, l’activité de la notation financière
ainsi que celle de l’analyse financière, ont été remises en cause pour des
raisons touchant directement la protection des investisseurs et la préservation
de l’équilibre des marchés financiers. La critique a en effet été hautement
soulevée à l'encontre des agences de notation.
Le règlement
européen de 2009, visant à encadrer l'activité des agences de notation, définit
le statut d'agence de notation financière de crédit comme étant « une
personne morale dont l’activité inclut l’émission de notations de crédit à
titre professionnel ». Le règlement précise que la notation de crédit
émise par une agence de notation est une évaluation de la capacité d’un
emprunteur à rembourser sa dette, donnée sous forme d’avis[2]. Au niveau national, la notation financière est considérée comme un
service connexe aux servies d’investissement[3].
Bien qu’elles
émettent une opinion en se basant sur des informations financières, les agences
de notation exercèrent une activité totalement différente de l’analyse
financière. En effet, cette dernière se définit comme l’ensemble d’informations
«recommandant ou suggérant une stratégie d'investissement, explicitement ou
implicitement, concernant un ou plusieurs instruments financiers ou les
émetteurs d'instruments financiers, y compris les opinions émises sur le cours
ou la valeur présente ou future de ces instruments, destinés aux canaux de
distribution ou au public et pour lesquels les conditions suivantes sont
remplies »[4].
Il faut toutefois
garder à l'esprit que l’analyse financière se distingue de la fourniture de
conseils en investissement [5].Le service de conseil en investissement se caractérise par
« le fait de fournir des recommandations personnalisées à un tiers,
soit à sa demande, soit à l'initiative de l'entreprise qui fournit le conseil,
concernant une ou plusieurs transactions portant sur des instruments
financiers »[6].
Ayant un rôle de
plus en plus important dans le fonctionnement des marchés financiers, les
agences de notation ainsi que les analystes financiers, qui bénéficiaient d’une
quasi dérégulation de leur activité, font aujourd’hui l’objet d’un encadrement
juridique plus solide.
Toutefois, la
régulation de l’activité de notation et d’analyse financière permet-elle de
préserver la stabilité et l’équilibre des marchés financiers ?
La mise en place
d'un cadre de régulation dénote une volonté européenne de réglementation de
l'activité de notation et d'analyse financière depuis la crise des subprimes
(I), sans toutefois ignorer la nécessité d'une responsabilisation envisageable
de ces activités pour l'avenir (II).
I-
La réglementation européenne sur l'activité de
notation et d'analyse financière
La mise en place d’une nouvelle régulation de l’activité
de certains acteurs financiers a été décidée par les autorités régulatrices (A)
et renforcée afin d’atteindre les objectifs souhaités (B).
A-
Les prémices d’un encadrement
juridique de la notation et de l'analyse financière
Au lendemain de la crise financière mondiale des subprimes,
l'Union européenne (UE) prend conscience de la nécessité de réinstaurer une
régulation des agences de notation et d’analystes financiers. C'est par le
règlement du 16 septembre 2009, première législation européenne encadrant
l'activité de notation financière[7],
que l'on entend garantir l'indépendance, mais également l'intégrité et la
qualité de la notation financière. Le règlement du 11 mai 2011, viendra
préciser les exigences de protection des investisseurs et de garantie de la
stabilité des marchés financiers au sein de l'UE.[8]
Encadrée dans des délais stricts, la gestion des conflits d'intérêts des
agences est mise en abîme : Elles sont dans l'obligation d'utiliser des
méthodes de notation « rigoureuses, systématiques, sans discontinuités
et pouvant être validées sur la base de données historiques, y compris des
contrôles a posteriori ». [9]
Tout en balayant le contenu des notations de crédit, les
règlements tendent au respect du principe de transparence des agences en
exigeant une publication de leur méthode de notation – jusque-là peu encadrées
– afin de permettre une meilleure appréhension du risque. L'atout majeur de ces
textes porte notamment sur l'extension des prérogatives et responsabilités de
l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (AEMF). Le règlement de 2011[10]a
complété ce mécanisme en transférant à l'AEMF, les pouvoirs d’enregistrement et
de certification ainsi que l’enquête, le contrôle et les sanctions susceptibles
d’être prononcées à l’égard des agences de notation, les autorités nationales
étant alors déchargées. Cette législation a marqué un tournant pour les agences
de notation puisque celles-ci sont désormais surveillées par l’autorité
européenne. La mise en place d'une
surveillance continue est la preuve d'une volonté d'encadrement strict renforcé
par la possibilité d'infliger des sanctions aux agences en cas de violation des
dits règlements.
Le point négatif, démontré par un rapport spécial publié
en 2015, tient au fait que la surveillance par l'UE sur les agences de notation
de crédit n'est toujours pas pleinement efficace ; en pratique cela paraît
plus difficile et des efforts restent à fournir comme l'analyse la Cour des
comptes de l'UE[11].
B-
Le renforcement de la régulation des agences
de notation et d’analystes financiers
Les nouvelles règles du règlement 2013[12],
amendant le règlement 2009 par souci de clarté et de précision, viennent
limiter la dépendance à l’égard des agences de notation. Cette exigence prend
plusieurs formes : D'abord le règlement précise que les trois autorités
européennes de surveillance (ABE, AEAPP et AEMF) ainsi que le Comité européen
du risque systémique (CERS) ne doivent plus s’appuyer sur les notations de
crédit des agences dans leurs orientations et recommandations dans le cas où
ces notations seraient utilisées de manière exclusive.[13]
Ensuite, il fait référence à une suppression « au 1er janvier 2020
toutes les références aux notations de crédit dans la législation de l’Union,
sous réserve d’avoir identifié et mis en œuvre des solutions appropriées en
alternative »[14].
Enfin, ce règlement organise l’évaluation des risques de crédit par les
établissements financiers eux-mêmes. Il s’agit pour ces derniers de ne plus
être exclusivement tributaires des agences de notation et de se substituer
progressivement à elles, du moins en partie.[15]
L'objectif du règlement tend également à éviter les
conflits d’intérêts : Il met en place plusieurs dispositions. Par exemple,
un actionnaire détenant 5% du capital ou des droits de vote d’une agence de
notation ne peut plus être actionnaire à la même hauteur dans une autre agence
de notation.[16]
En vue de restreindre les risques de conflits d’intérêts, le règlement impose
également à toute agence de notation d’informer le public dès lors qu’un de ses
actionnaires détient au moins 5 % de son capital ou droits de vote et 5 % d’une
société qu’elle a notée. Une interdiction de notation est prévue dans le cas où
l’actionnaire d’une agence détient à la fois 10 % du capital ou droits de vote
de celle-ci et 10 % dans une entreprise notée par cette-dernière. Ainsi, le
législateur français oblige les dirigeants d’une société « s'abstenir
de toute initiative auprès des analystes financiers dont ils rémunèrent les
services qui aurait pour objet ou pour effet de privilégier leurs intérêts
propres, ou ceux de leurs actionnaires, au détriment d'une information sincère
».[17]
Le législateur européen admet par ailleurs une meilleure
visibilité et transparence de l'activité financière.[18]
Accroître la transparence de l’industrie de la notation contribue à
responsabiliser ses acteurs et constituer une opportunité pour les petites
agences de gagner en notoriété.
II-
La responsabilisation envisageable des agences de
notation et d'analystes financiers
La responsabilité des agences de notation et d’analystes
financiers peut être engagée par le fait qu’ils aient manqué à leurs
obligations (A), mais ils demeurent rarement condamnés (B).
A-
Le recours contestable à la
technique de titrisation et la mauvaise évaluation du risque
La titrisation des créances est « une technique
de financement par laquelle des actifs homogènes générateurs de revenus — qui,
seuls, pourraient être difficiles à échanger — sont rassemblés et vendus à une
entité tierce créée pour l'occasion, laquelle les utilise comme sûreté pour
émettre des titres qu'elle vend sur les marchés financiers » [19]
En France, cette opération financière a été massivement
utilisée avant la crise de 2007, les agences de notation ont été critiquées car
elles ont surévalué les crédits titrisés[20].Bien
que la note de crédit ne soit qu’un indice à lequel se référent non seulement
les investisseurs pour investir sur les marchés financiers, mais aussi les
analystes financiers pour délivrer leur analyse.
Toutefois, une mauvaise évaluation du risque peut se
produire. Une analyse financière erronée peut être liée aux méthodes opaques
utilisées par certains analystes financiers qui se sont trouvés au cœur d’un
conflit d’intérêts[21].
Les agences de notation quant à elles, ont été accusées de surévaluer les crédits
titrisés. Cela affecte non seulement les propres intérêts investisseurs, mais
aussi l’équilibre des marchés financiers, d’où le renforcement de leur
responsabilité.
B-
La difficulté pratique d'une
responsabilisation judiciaire des acteurs financiers
Bien que le règlement de 2009[22]
ait bien crée une responsabilité administrative à l’égard des agences de
notation, il n’a en revanche instauré aucun régime de responsabilité civile
particulier à l’égard des agences de notation. Ce qui explique que ce règlement
ait été modifié encore une fois en 2013 pour déterminer qu’est-ce qu’une
responsabilité civile.[23]
Le point important concerne avant tout le fait qu’un
investisseur ou un émetteur puisse subir un préjudice. L’objectif est donc de
responsabiliser davantage les agences de notation, cette volonté de renforcer
la responsabilité se manifeste dans la disposition de l’article L544-6 CMF.[24]
Si un investisseur ou un émetteur s’est référé à une notation pour investir et
que cette notation lui a causé un préjudice par la suite, il a droit à une
réparation. Par conséquent, la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle
prévue à l’article L544-5 CMF peut être engagée[25].
On en déduit que les conditions classiques de l’établissement de la
responsabilité doivent être réunies[26].
Certes il y a eu des actions en justice portées contre
les agences de notation et les analystes financiers, mais en pratique leur
responsabilité est difficile à engager. Concernant les agences de notation,
l'agence Standard & Poor's a été condamnée à dédommager des collectivités
locales ayant investi des millions de dollars dans des produits financiers peu
fiables qui avaient pourtant été bien notés par l'agence américaine[27].En France, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris a reconnu la responsabilité
civile déllictuelle de la banque Morgan Stanley pour avoir diffusé une
évaluation erronée sur la situation financière de son investisseur.
Ces affaires en sont qu'une brève illustration de
condamnations effectives des agences financières et ne permettent pas assez de
préjuger d'une réelle responsabilisation effective de ces acteurs; laquelle
demeure encore aujourd’hui hautement souhaitée par l'ensemble de la société
civile.
[1]“The
global financial crisis - missed by most analysts - shows that most forecasters
are poor at pricing in economic/financial risks, let alone geopolitical ones”.
[2]Règlement (CE) N° 1060/2009 du parlement européen et du conseil
du 16 septembre 2009 sur les agences de notation de crédit, l’article 3.
[5]Alain Couret, Hervé Le Nabasque, Droit financier, Dalloz
2eme édition, 2012, p.140-141 ; 2° de l’article L544-1 (Modifié par LOI
n°2010-1249 du 22 octobre 2010 - art. 10 (V).
[7]Règlement (CE) No 1060/2009 du parlement européen et du
conseil du 16 septembre 2009 sur les agences de notation de crédit.
[8] Règlement (UE) n°511/2011 amendant celui de 2009.
[9] Article 8 3° Méthodes, modèles et
principales hypothèses de notation, Règlement (CE) nº1060/2009 sur les agences
de notation de crédit.
[10] Règlement (UE) n°511/2011 amendant celui de 2009 sur les
agences de notation de crédit.
[11] Rapport spécial n°22 de 2015 de la Cour des Comptes de
l’Union européenne, « La surveillance, par l’UE, des agences de notation
de crédit est bien en place, mais elle n’est pas encore totalement
efficace ».
[12]Règlement (UE) n°462/2013du Parlement européen et du
Conseil du 21 mai 2013 modifiant le règlement (CE) nº1060/2009 sur les agences
de notation de crédit.
[13]Article 5 ter du Règlement(UE) n°462/2013
[15]Article 5 bis intitulé « Dépendance excessive
des institutions financières à l’égard des notations de
crédit » n°462/2013
[16]Article 6 bis du règlement n° 462/2013.
[19]AngelosDelivorias, « ANALYSE APPROFONDIE EPRS :
Comprendre la titrisation ». Service de recherche du Parlement européen,
Service de recherche pour les députés Octobre 2015.
[20]Kethar S. et RathaDn « Titrisation
de créances futures : un bon outil pour les pays en développement, »
Finances & développement, mars 2001, p. 46
[22]Règlement (CE) No 1060/2009 du parlement européen et du
conseil du 16 septembre 2009 sur les agences de notation de crédit
[23] Article 35 du règlement (UE) n°462/2013
[24] Article L544-6 (Créé par la loi n°2010 -1249 du 22 octobre 2010 - art 10 (V) « Les clauses qui visent à
exclure la responsabilité des agences de notation de crédit mentionnées à l'article L.544-4 sont interdites et réputées
non écrites »
[25] Article L544-5 du Code Monétaire et Financier (CMF).
[26] A.D. MERVILLE « La responsabilité civile, pénale,
administrative des agences de notation », Revue Droit bancaire et financier
n°3, LexisNexis, 2013.
[27]California
Public Employees’ Retirement Systems v. Moody’s Corp. et al., Superior Court of
California, San Francisco County, No. 09-490241 (May 24, 2010).
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