LA BLOCKCHAIN EN DROIT BANCAIRE ET FINANCIER
Saoussane BENTHAMI
(11 mars 2017)
Résumé:
De prime abord, cette technologie déconcertante semble être une menace pour les institutions bancaires et financières classiques, une limite à leurs prérogatives ainsi qu’au monopole bancaire, mais on doit comprendre que ses apports profitent particulièrement à ces deux secteurs. La Blockchain est “une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle”[1]. La législation Française essaye d’œuvrer au mieux pour y accorder un régime juridique convenable et ainsi garantir à ses utilisateurs une meilleure sécurité juridique.
Prima facie, this technological disconcerting mechanism seems to be a threat for the financial and banking classical institutions, a boundary of their prerogatives or the banking monopoly, but we must acknowledge that it’s benefits are profiting first to those two particular sectors. Indeed, Blockchain is « a digital ledger in which transactions made in bitcoin or another cryptocurrency are recorded chronologically and publicly ». the French legislation tries it best to give it a real interest, avoiding to brake on innovation, and give the users of Blockchains a better legal certainty.
La technologie est toujours en avance sur le législateur, tel est le
constat pour cette nouvelle technologie appelée « Blockchain », « chaîne
de blocs », ou « enchaînement de bloc », « qui pose des
problématiques similaires à celles posées par internet en son temps »[2]. Il
s’agit d’un nouveau mécanisme technologique permettant d’effectuer des
transactions nécessitant classiquement l’intervention de tiers de confiance,
avec l’unique mobilisation de moyens de calculs algorithmiques relevant de la
puissance de calcul d’un ordinateur.
Il faut rappeler que ce
mécanisme déconcertant a vu le jour le 1er novembre 2008, avec la
publication du fonctionnement du système bitcoin par Satoshi Nakamoto. Et dont
l’objectif premier était bien de réaliser des transactions financières sur Internet
sans passer par des institutions étatiques quelconques.
Ce mécanisme est attrayant,
pour l’absence de coût supplémentaire de transaction, il s’agit d’un moyen
intelligent de transmission d’informations d’une entité A à une entité B :
l’une des parties commence par initier le processus en créant un « bloc »,
qui est vérifié par un millier voire un million d’utilisateurs qui mettent à
disposition la puissance de calcul de leurs ordinateurs et qui sont chargés de
vérifier la validité des transactions que l’on appelle des “mineurs”.
En effet, celle-ci permet de formaliser
de manière indélébile une transaction entre deux parties, c’est un registre
transparent que chacun peut consulter mais sans jamais pouvoir modifier les
entrées précédentes, ce registre est constitué de blocs contenant des centaines
de transactions qui s’ajoutent les uns aux autres formant une chaine.
Lorsqu’un échange implique un transfert
de valeurs, nous avons nécessairement et indéniablement besoin d’un tiers de
confiance, à titre d’exemple, Il faut passer par une banque pour transférer de
l’argent.
Si on s’en suit à la logique
de ce mécanisme, il n’y’aurait plus besoin de banques centrales, de monnaies
fiduciaires, ni de chambres de compensation, on est aux prémices d’une grande
révolution, qui va bouleverser le monde des affaires. Mais il faut être réaliste,
cette technologie risque –
si cela n’a pas été déjà le cas- d’être récupérée et adaptée par des acteurs
majeurs de la technologie, de la banque de la finance et de l’assurance.
L’Ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse, semble définir ce
mécanisme comme un « outil d’enregistrement permettant un transfert de
propriété »[3].
Se
posent alors les questions de savoir quels sont les points de friction de la
technologie « Blockchain » avec le droit bancaire et financier ?
Quelle régulation est possible et envisageable pour celle-ci ?
Il
convient, dans un premier temps de comprendre, les points de connexion de ce
nouveau mécanisme avec le droit bancaire et financier (I), pour en conclure la
nécessité de s’y intéresser de près afin de pouvoir, établir un régime
juridique, digne de l’évolution que promet ce nouveau mécanisme (II).
I-
La
Blockchain : Une illustration de l’apport du numérique au droit
bancaire
L’objectif
de la réglementation est de soutenir l’innovation tout en assurant la stabilité
financière et bancaire, ainsi que la sécurité juridique. Pour analyser le
mécanisme, il faut comprendre les innovations apportées aux métiers traditionnels
de la banque (A), pour ensuite envisager la possible reprise de certains
mécanismes sous-jacents à la Blockchain par les établissements bancaires et
financiers (B).
A-
La
Blockchain et les métiers traditionnels de la banque visés à l’article L511-5
du code monétaire et financier
Suite à la crise de confiance qu’a connu
le secteur bancaire, la Blockchain a trouvé application dans le monde bancaire
et financier. Le bitcoin et l’Ether sont des cryptomonnaies[4] utilisant le système Blockchain
et indépendantes du système monétaire classique, et qui ont depuis 2009 un
grand succès. De surcroit, la monnaie est une fonction régalienne de l’Etat et
non seulement l’objet d’un monopole bancaire visé par l’article L511-5 du CMF.
L’innovation apportée par la Blockchain
va au-delà de la simple « création monétaire », mais elle touche tous
les métiers traditionnels de la banque, tout d’abord la possibilité de recevoir
les fonds remboursables du public [5]avec les « Wallets » ou portefeuilles,
permettant le stockage de bitcoins, un procédé sécurisé, qui demande plusieurs
clés cryptographiques afin de débloquer les fonds,
Ensuite, elle offre la possibilité
d’octroyer du crédit, avec le Crowdlending (crédit participatif[6]), en effet, le peer
to business lending, qui permets aux particuliers ayant la volonté
d’investir, de prêter de l’argent aux entreprises. En effet les particuliers
peuvent depuis Ordonnance n° 2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement
participatif, d’accorder, un prêt à une entreprise qui n’arrive pas à obtenir
un prêt bancaire classique, avec un taux d’intérêt intéressant. Ou encore le Peer to peer Lending qui offre aux
particuliers la possibilité d’octroyer des prêts à d’autres particuliers qui
n’arrivent pas à obtenir de prêt à la consommation auprès des banques. Pour
être octroyés, les plateformes utilisent la technique de « scoring »
afin d’évaluer la solvabilité du client, par la possibilité d’usage des données
des utilisateurs, pour une analyse prédictive de la solvabilité. La directive
européenne sur les services de paiement 2015/2366 du 25 novembre 2015, dite « DSP2 »
autorise l’accès aux données du compte bancaire pour ce faire, après
consentement de l’utilisateur.
B-
Les mécanismes sous-jacents à la Blockchain et
leur reprise en droit bancaire et financier
La Blockchain présente un grand avantage,
avec l’apparition des « contrats intelligents » (smart contracts), qui une fois conclus, laissent place à la gestion
automatique par le système[7], des conditions contractuelles,
les termes et conditions du contrat. Grâce à la transparence et
l’infalsifiabilité des blocs, chaque intervenant peut vérifier la réalisation
et la justification des termes contractuels et, dans le cas d’une transaction
financière, être automatiquement réglée par transfert bancaire. le « Smart Contract » n’est pas le
contrat, mais une modalité technique d’exécution de celui-ci.
Le secteur bancaire et financier entend se servir du
mécanisme pour une meilleure efficience de celui-ci, en adaptant la technologie
à leurs propres systèmes internes, avec la création de Blockchains privées ou semi-privées, permettant
une meilleure sécurité des données. Ainsi, La start-up Chain, travaille actuellement
avec le groupement des cartes bancaires, Nasdaq et Citibank, leur permettant de
ce fait de : « transférer, stocker, échanger et gérer des actifs
financiers de façon rapide, sécurisée et moins risquée que le système actuel
».[8]
De surcroit, La Blockchain participe à la
dématérialisation des services financiers, notamment par la digitalisation de
ceux-ci, la directive Européenne du parlement et du conseil du 25 Novembre 2015, crée un statut allégé de
prestataires de services de paiement.
II-
La Blockchain : un défi
normatif
Face à la spécificité du
mécanisme, l’autorégulation n’est pas suffisante (A), c’est pour cela que les
enjeux d’une réglementation institutionnelle ne sont pas négligeables (B).
A-
L’hypothèse insatisfaisante de l’autorégulation
Dans l’esprit de
son créateur et de ses adeptes, la confiance nait de l’absence d’autorité
humaine, qui semble être plus corruptible que la technologie.
L’autorégulation tient au
mécanisme propre de création de l’enchaînement de blocs, tout ajout, retrait ou
modification d’une transaction, invalide l’empreinte cryptographique de toute
la chaîne.
Actuellement,
cette technologie s’appuie sur des « preuves
de travail » ou « proof of
work » qui garantissent la sécurité du système par la puissance de
calcul qu’offrent les « mineurs[9] »
en contrepartie de « bitcoins », et depuis 7 ans, le programme a été
pensé pour distribuer 21 millions de bitcoins pendant environ 130 années.
Mais compte tenu des cyber-attaques qu’ont connu les Blockchains[10], mettent en lumière une des grandes
failles de la Blockchain, l’entente de 51 % des mineurs peut corrompre le système
autrement dit la mainmise sur plus de la moitié de la puissance de calcul d’une
Blockchain.
C’est pourquoi il semble nécessaire de réguler cette technologie,
ne serait-ce que pour régler la question de la responsabilité, ou encore de
droit applicable.
Il existe encore
beaucoup de freins juridiques et réglementaires au développement de la technologie
Blockchain. Par exemple, le problème posé par Les smart contracts quant à
l'articulation juridique entre les contrats "classiques" et ceux
réalisés par la Blockchain.
L’enjeux réside aujourd’hui, dans l’établissement d’un cadre
réglementaire clair, définissant et encadrant la Blockchain car « L'absence complète d'encadrement freine l'innovation »[11].
Mais
selon certains auteurs, « de multiples législations
peuvent déjà s'appliquer mutatis mutandis à différentes Blockchains »[12], ce qui nous pousse à penser que la
législation préexistante peut déjà s’appliquer à la Blockchain.
B- L’hypothèse sérieuse de la régulation
institutionnelle
Suite aux échecs rencontrés par
l’autorégulation et à l’aune des leçons à tirer des précédentes crises
financières, la régulation institutionnelle est envisageable.
La France a pris cette initiative, avec
l’ordonnance du 28 avril 2016 réformant les bons de caisse classiques et créant
les « minibons[13] », descendant des
bons de caisse classiques, dont l’émission peut être inscrite dans un
dispositif Blockchain sous certaines conditions[14].
Cette ordonnance vient répondre à la
problématique du transfert de propriété des minibons, en vertu de l’article L.
223-13 CMF, « le transfert de propriété
de minibons résulte de l'inscription de la cession dans le dispositif
d'enregistrement électronique mentionné à l'article L. 223-12, qui tient lieu
de contrat écrit pour l'application des articles 1321 et 1322 du code civil. A
défaut, […] le transfert de propriété de minibons résulte de leur inscription
au nom de l'acquéreur dans le registre ».
Le législateur avait la volonté, dans le projet
de loi Sapin 2, 14 juin 2016 d’adopter un amendement autorisant le gouvernement
à prendre par ordonnance, toutes mesures nécessaires concernant l’adaptation du
« droit applicable aux titres financiers
et aux valeurs mobilières afin de permettre la représentation et la
transmission, au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé
», en d’autres termes, par une Blockchain[15]
Certains spécialistes font valoir qu’Il suffira de faire rentrer
les sous mécanismes de la Blockchain au cadre légal préexistant lors de ses
premières utilisations dans les mois et les années à venir.
[1] Il s’agit de la définition de
Blockchain France
[2] « Blockchain : évolution ou
révolution ? la pratique qui bouscule les habitudes et l’univers
juridique » Y. Cohen-Hadria ,
in Dalloz IP/IT n°11 novembre 2016 p. 538
[3] L233-12 du code monétaire et financier (ci-après CMF).
[4] Monnaie électronique, alternative,
décentralisée dont l’implémentation se base sur les principes de la
cryptographie. Son statut est incertain,
personne ne sait si un ether ou un bitcoin est juridiquement un actif
immatériel ou une monnaie mais en tout état de cause le « Bitcoin »
n’est pas considéré en France comme une monnaie au sens juridique selon
l’article L111-1 du CMF.
[5]
Article L511-5 du code monétaire et financier
[6]
13 Décret n° 2017-245 du 27 février 2017
relatif aux obligations d'assurance de responsabilité civile professionnelle
des intermédiaires en financement participatif qui ne proposent que des
opérations de dons
[7]« Bitcoin et Blockchain : vers un nouveau
paradigme de la confiance numérique » D. Geiben, O. Jean Marie, T.
Verbiest, J-F. Vilotte, les essentiels de la banque et de la finance
[8] Cf.« La Blockchain
décryptée – les clefs d’une révolution» , Blockchain France éd. 2016
[9] Des internautes volontaires qui
offrent la puissance de calcul de leurs ordinateurs pour valider les
transactions, il est appelé comme cela car le gain de « bitcoin » est
assimilé à la ruée vers l’or.
[10] En l’occurrence l’attaque qu’a
connu la plateforme Nippone
MtGox
en avril 2014, entraînant la perte de 750 000 bitcoins, ainsi que la Blockchain
Anglaise Bitstamp, ou encore
l’attaque de the DAO, organisation
autonome décentralisée basée sur la Blockchain d'Ethereum
[11] Selon S. Polrot, avocat et fondateur d'Ethereum France
[12] Y. Moreau et C. Dornbierer « Enjeux de la technologie de blockchain » –– Dalloz.
2016. 1856
[13] Titres
remis par une entreprise en échange d’un crédit qui lui est accordé
[14] Cf. l’art. L. 223-6 et s. CMF
[15] Cf. Article 34 ter, adopté par voie d’amendement,
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